jeudi 29 novembre 2007

La relégation, l'autre bagne (Guyane)

Les connaissances des Français sur le bagne se résument, dans la majorité des cas, à peau de chagrin. Tout au plus de vagues idées sur ce que furent les conditions de détention aux Iles du Salut, par le biais de l'affaire Dreyfus. Peut-être celle de Seznec, soyons optimistes. Pour les amateurs de lectures aventureuses, Henri Charrière, plus connu sous le nom de Papillon, leur a offert une vision romanesque de l'horreur pénitentiaire.
Albert Londres s'immisce parfois dans quelques conversations, mais rares sont ceux qui ont ne serait-ce que feuilleté ses ouvrages. En revanche, Dieudonné ou Jean Galmot, pour exemple, demeurent d'illustres inconnus au bataillon. Quant au bagne en lui-même, et je vous invite à tenter l'expérience autour de vous, dans le meilleur des cas il est localisé à... Cayenne.
Pour d'autres, les plus érudits, le camp de la Transportation peut éventuellement provoquer une levée de sourcil. Mais combien savent qu'il se situe, non pas à Cayenne, mais à Saint-Laurent du Maroni ? Pas beaucoup. Pourquoi ? Très simple.

Inquiétante amnésie
La France souffre toujours d'une profonde névrose post-traumatique vis-à-vis des pages les plus sombres de son Histoire. Le bagne, la colonisation, et j'en passe. Mieux vaut jeter tout cela aux oubliettes, et avancer. L'actuel président de la République n'a-t-il pas déclaré dernièrement qu'il fallait en finir avec "la culpabilisation sur notre passé". Sans même évoquer ses propos sur "le courage de certains colons", un tel discours reflète avec une cinglante précision l'inquiétante amnésie volontaire de la France et de ses dirigeants successifs.
Alors le bagne, institution inhumaine et pur produit de la République, n'a aucune chance d'échapper à la loi du silence et de l'oubli. Il est préférable de promouvoir les bienfaits du centre spatial. De fait, la création d'une certaine forme de bagne est intervenue dans un contexte politique qui n'est pas sans présenter quelques troublantes similitudes avec celui qui nous préoccupe actuellement.

Plus de 23 camps !
Juste une petite mise au point. A Cayenne, seuls trois baraquements accueillaient les forçats. Quatre dortoirs, dix-neuf prisons, soixante-dix-sept cellules, une infirmerie, des cuisines et des logements pour le personnel pénitentiaire. Les bagnards étaient employés : soit dans les travaux publics (assainissement des marais ou entretien des installations portuaires), soit au service des particuliers. Pas les moins bien lotis.
En revanche, les pensionnaires de Saint-Joseph (la pire), Royale (administratif) ou de l'Ile du Diable (isolation totale, évasion impossible en raison des courants, toujours aussi impressionnants) n'étaient pas logés à la même enseigne. Tout comme ceux du camp de la Transportation. Les femmes, car elles n'échappaient pas à l'exil, bénéficiaient de leur propre site d'emprisonnement, à Mana (environ 30 kilomètres de Saint-Laurent, à vol d'oiseau, parce que les routes à l'époque...). Et pas moins de 23 autres camps disséminés sur le territoire guyanais abritaient des forçats ! Parmi ceux-là, Saint-Jean, et son camp de la relégation.

"Les ennemis de l'intérieur"
Il existe trois catégories pénales au bagne : les déportés pour les motifs politiques - décret du 27 juin 1848 - les transportés qui sont condamnés aux travaux forcés - loi du 30 mai 1854 - et les relégués - loi du 27 mai 1885 dite loi sur la relégation des récidivistes. L'enjeu de cette loi est de "débarrasser" le sol de la France métropolitaine des petits délinquants et vagabonds.
Tout au long du 19ème siècle, l'augmentation du nombre de récidivistes ne cesse d'inquiéter les gouvernants et juristes. Le débat qui s'engage permet de distinguer une nouvelle notion : celle de "délinquant incorrigible".
Dès lors, ce qui importe n'est pas tant la gravité de l'acte commis, mais le fait de répéter et de persévérer dans le crime, même lorsqu'il s'agit de délits mineurs comme le vagabondage ou le vol simple. La récidive appelle une réforme d'envergure du système pénal afin d'instaurer des mesures d'élimination à l'encontre des délinquants d'habitude et des mesures préventives pour les délinquants d'occasion.
En 1873, le comte d'Haussonville préside une enquête sur le régime pénitentiaire français et arrive à la conclusion qu'il faut transporter les récidivistes incorrigibles dans une colonie outre-mer. Il faut protéger la société de ces "ennemis de l'intérieur". La récidive devient un thème d'actualité incontournable à partir des années 1880. Gambetta promet, lors des élections législatives de 1881, de transporter les récidivistes hors de la métropole.


Législation rapide et critiques violentes
Waldeck-Rousseau, ministre de l'intérieur, poussé par l'opinion publique (pétitions, adresses…) est à l'origine du texte sur la relégation. La situation politique impose aux Opportunistes de faire voter le texte avant les échéances électorales de 1885.
La loi est votée le 27 mai 1885 et apparaît comme une loi républicaine dans la mesure où elle entend protéger les classes laborieuses par l'exclusion de citoyens qui nuisent à la sécurité du corps social. Elle fixe un nombre de peines au-delà de duquel l'individu est déclaré "inamendable". Ce seuil est variable et aménage plusieurs combinaisons qui, une fois atteintes, entraînent le prononcé obligatoire de la peine accessoire de la relégation.
Les attaques contre ce projet sont violentes. Clémenceau, au nom des Intransigeants, accuse les Opportunistes de s'attaquer aux conséquences de la misère sociale et économique et de ne pas en traiter les causes. Conscients des critiques auxquelles ils s'exposent, les Opportunistes, qui se sont bien gardés d'indiquer le régime et les lieux où doit s'appliquer la relégation après le vote de la loi, votent parallèlement la loi du 5 août 1885 sur la libération conditionnelle. La relégation est une peine perpétuelle.
Mais les colonies voient d'un mauvais œil cette arrivée massive de délinquants et, sous leur pression, le Sénat transforme cette simple mesure d'éloignement en peine avec obligation de travail de façon à ne pas laisser les relégués libres une fois débarqués.

Un échec
Au final, la relégation est un échec. La récidive ne diminue pas. Les magistrats, préférant le dispositif Béranger qui met l'accent sur la prévention pénale, n'appliquent que très peu la relégation.
La publication du reportage d'Albert Londres sur le bagne de Guyane en 1925 renforce l'opposition de l'opinion publique. En 1936, le Front Populaire décide de suspendre les convois de forçats en direction de la Guyane. Le 17 juin 1938, la transportation, jugée néfaste pour l'économie guyanaise, est abolie. Reste la relégation.
Fin 1938, 670 relégués sont embarqués pour la Guyane. Au début 1939, Albert Lebrun, président de la République, signe le décret-loi portant fermeture progressive du bagne. Mais les condamnés en cours de peine sont maintenus. A cette date il reste encore 5598 condamnés en Guyane, sans compter les libérés assignés en résidence, et pour eux rien ne change.
La relégation, votée dans un climat d'insécurité grandissant concerne près de 16 000 hommes en Guyane, auxquels s'ajoutent 519 femmes reléguées. Pour comparaison, la transportation concerne 52 000 forçats.

Meneur de revue
A Saint-Jean, la population carcérale était des plus hétéroclites. On y trouve tout type d'individu. Leurs conditions de vie ne sont pas aussi dramatiques que celles infligées aux "transportés". Ils travaillent, s'offrent parfois quelques jours de "prison buissonnière" avant de rentrer en cellule. Sans vraiment subir les foudres de leurs gardiens, aussi conciliants que peu nombreux. Il faut avouer que les états de services de la plupart des relégués n'ont rien de très effrayants. On retrouve même à une époque en leur sein un ancien meneur de revue des cabarets parisiens ! Ce dernier ne renonce pas à son activité, puisqu'il lui arrive d'organiser des spectacles dans le kiosque à musique de la place du village ! Avec des forçats dans les rôles principaux ! Des relégués qui n'ont guère la côte auprès de la gent féminine locale. En effet, celles-ci leur préfèrent les vrais durs de Saint-Laurent. Un petit voleur minable et crasseux qui chasse les papillons, ça n'a rien d'excitant...
Voilà, la longue histoire d'une loi sur la récidive. Une première...

Raquettes et quiproquos congolais (Kinshasa)


Tout comme le langage n’est pas universel, le français n’est pas le même, d’un pays à l’autre. En RDC, la langue de Molière devient une ode à la poésie. Démonstration : là ou nous évoquons une prostituée, les congolais parleront de « londonienne », plus léger. Les sodas deviennent des « sucrés », les gens haut placés des « honorables » et la maîtresse d’un homme sera élégamment évoquée comme son « deuxième bureau ». Quant aux nombres 70 et 90, ne vous trompez pas et dites « septante » et « nonante » au risque que votre interlocuteur ne comprenne 60-10 ou 80-10 (les belges et leurs résidus de langage m’ont plus d’une fois embarrassée lorsque j’ai du donner mon numéro de téléphone évidemment truffé de ces nombres). Enfin, point de belles formules de politesse, un rapide "ça va" remplacera notre traditionnel "merci".

Ajoutez à cela un accent (qui peut varier d’une personne à une autre, selon sa région d’origine), et vous vous retrouvez parfois un tout petit peu à coté de la plaque. Pour preuve, mon dernier grand moment de solitude, lorsqu’au milieu d’une réunion de travail concernant l’ouverture prochaine du nouveau Centre de Documentation Parlementaire, entourée des deux (honorables) secrétaires généraux de l’Assemblée Nationale et du Sénat congolais, j’ai posé une question quelque peu ridicule. La secrétaire générale du Sénat ayant évoqué très sérieusement et à plusieurs reprises le besoin urgent de présenter une raquette auprès de l’Ambassade de France, je demandai spontanément et sans trop réfléchir : « mais qu’entendez-vous exactement par « raquette » ? Et la dame de me répondre, un peu interloquée, « et bien, ma chère amie, enfin, une raquette…une demande officielle, en somme » Mmmh, très bien, nous parlions donc d’une requête. J’aurais mieux faire de me taire sur ce coup-là..

Grand désarroi également le jour où il m’a fallu traduire le mot « crotte » à un de mes collègues congolais. Pour vous situer l’affaire, il m’est important de préciser que mon bureau se trouve dans le centre de documentation mentionné plus haut et plus précisément au rez-de-chaussée du Parlement. Allez savoir pourquoi, parmi cinq bureaux, il fut pendant un mois le seul à être pris d’assaut par une ribambelle de souris qui venaient y festoyer chaque soir. Au matin, je comptabilisai donc les preuves incontestables de leur présence : leurs crottes. Lorsque je m’en plaignis à l’un de mes collègues, ce dernier me fit répéter avant de s’exclamer : « ha, vous voulez parler des fèces de rat ! ». Il nous aura fallu quelques minutes (et quelques blagues d’un goût douteux) pour démêler les nœuds de ce malentendu et pour que je découvre que ce mot, ici, n’existait pas.

Enfin, et pour clore ce petit cours de linguistique, la religion, très présente dans le cœur des congolais, l’est aussi dans leur langage courant. Ainsi, ai-je l’immense plaisir d’apprendre à chaque fin de conversation avec l’un d’eux, que « Dieu, dans Sa Grande Sollicitude, me garde ». Ouf. Je respire.

Rions un peu avec François Hollande... (Paris)

J'ai toujours aimé les duos comiques. Je suis bien incapable de dire si je préfère Omar et Fred ou Eric et Ramzy.
Même chose en politique. Je ne sais pas quel tandem m'a le plus fait rire ces derniers mois : Sarko et Cécilia ou François et Ségolène.
Ce qui est sûr cependant, c'est que j'ai eu l'occasion de voir l'un des quatre "sur scène". Il s'agit du premier secrétaire du PS. En rangeant mes archives au travail ces derniers jours, je suis tombé sur photo de François Hollande, ainsi que sur son discours prononcé en mars dernier à Beauvais.
A cette époque, en dépit des rumeurs concernant le couple, le premier sécretaire du parti socialiste et la candidate à l'élection présidentielle tentaient de préserver les apparences. Un mariage en Polynésie était même évoqué...
Lors de son passage dans l'Oise, dans la grande salle du Cinespace de Beauvais, François Hollande avait pour objectif de remobiliser les troupes du PS, ces dernières masquant difficilement leurs inquiétudes face au comportement de celle que l'on appelait familièrement "Ségo".
Le premier secrétaire fit donc un discours fleuve pour vanter les mérites de la candidate PS. Et, emporté par son élan verbal, au détour d'une phrase, il crut bon de lâcher dans un sourire :"Choisir Ségolène Royal est le seul choix raisonnable. C'est d'ailleurs celui que j'ai fait, à titre personnel, il y a plusieurs années."
Une déclaration qui prend une drôle de résonance à la lumière des événements qui ont suivi. Exactement comme pour le SMIC 1500 euros dont Ségolène Royal avoua, après la présidentielle, qu'elle n'y croyait pas du tout.
Mieux vaut en rire que d'en pleurer.
Et comme disait Coluche : "Je ferais remarquer aux hommes politiques qui me prennent pour un rigolo que ce n'est pas moi qui ai commencé."
Alors merci Sarko, merci Cécilia, merci Ségo, et bien entendu merci François...

lundi 19 novembre 2007


Moi je soutiens la grève des cheminots
PARCE QUE CA FAIT CHIER LES CONS !!! (Paris)





vendredi 9 novembre 2007

Cachez ce Mur (Berlin)


La nuit était tombée sur Berlin-Est. Des milliers de curieux se pressaient en ordre groupé. Tous marchaient dans la même direction. Ils avaient entendu la nouvelle à la radio ou au journal télévisé du soir, et voulaient être les premiers. Les premiers à voir. Attendant impatiemment l’ouverture, ils s’agglutinaient autour de la grande porte.
Pas la Porte de Brandebourg, symbole de la frontière entre l’Est et l’Ouest de Berlin jusqu’à 1989, mais celle du nouveau centre commercial Alexa, nouveau temple de la consommation sur l’Alexanderplatz, au beau milieu des symboles de l’ex-RDA. Pour son inauguration, le 12 septembre dernier, les publicitaires avaient osé le slogan : « La plus grande ouverture depuis la chute du Mur ». Les Berlinois les ont pris au mot.
A minuit, lorsque les vigiles ont déverrouillé les entrées, le mouvement de foule a été tel que certains escalators ont cédé sous le poids, des vitrines ont explosé au moment où les clients se poussaient pour attraper les promos « spécial ouverture », une dizaine a été blessée dans la panique et a dû être évacuée en urgence. Les affiches évoquaient l’euphorie de la chute du Mur. A Berlin, surtout à l’Est, on ne badine pas avec les symboles.
Dix-huit ans, pile poil, après sa disparition subite, le 9 novembre 1989, la frontière de béton reste un sujet sensible. Les Ossis —c’est ainsi qu’on continue d’appeler les habitants d’ex-Allemagne de l’Est— sont échauffés par les tentatives de faire disparaître les indices du régime communiste. Exit le Palais de la République, qui ne ressemble déjà plus qu’à un squelette métallique en face de la cathédrale de Berlin. Adieu la gare centrale à l’Est et bonjour la gare centrale de Berlin, pyramide de verre construite dans le No man’s land du Mur. Un pan du Mur orné d’œuvres réalisées par les artistes du monde entier, au niveau de la célèbre East Side Gallery, a même été supprimé pour dégager la vue sur l’eau depuis la salle de spectacle géante « O2World », qui se construit tout à côté.
Un par un, les symboles disparaissent. Et les Berlinois de l’Est commencent sérieusement à s’en agacer, en même temps qu’ils regrettent de plus en plus le « bon vieux temps du communisme ». Le temps où ils avaient tous un travail, un logis, de quoi vivre et s’alimenter. Sans en faire l’apologie, le maire de Berlin conçoit dans son autobiographie (parue en septembre) que, dès lors qu’on n’était pas engagé en politique, on pouvait mener une vie très agréable en Allemagne de l’Est. A l’ère du chômage et de la précarité, les Ossis perçoivent difficilement les progrès permis par la chute du Mur. Là où on leur parle de démocratie, ils se souviennent invariablement d’une annexion de leur pays (on dit « Anschluss » en allemand, avec toute la violence que ce mot implique, souvenirs de cours d’histoire à l’école française).
Paradoxalement, au fur et à mesure que l’Allemagne s’emploie à effacer les cicatrices du Mur, les touristes débarquent toujours dans l’idée de les observer. Ce Mur mythique. Et comme il devient parfois invisible, les visiteurs voient un autre Berlin. Une ville en construction, où l’effervescence culturelle et artistique cache des douleurs plus profondes. Où le chantier perpétuel est un terreau d’imagination.

jeudi 8 novembre 2007

La République du fleuve (Guyane)

Saint-Laurent du Maroni abrite deux villages peuplés, dans leur grande majorité, par des Amérindiens. Ils portent les noms de Paddock (prolongé de Paradis) et Balaté. Des lieux relativement paisibles, qui font figure de havre de paix. A tout le moins était-ce le cas jusqu'en juin dernier à Balaté. Depuis, la communauté Arawak (ou Lokono) qui peuple le village se déchire dans une guerre des chefs. Un conflit qui éclate au sein même des familles. Au point de voir, le 13 octobre dernier, une réunion de conciliation entre les deux parties tourner à la bagarre rangée. Sous le regard désespéré et impuissant des représentants de la Foag (Fédération des organisations autochtones de Guyane), dont la force de médiation n'a guère été efficace en cette occasion. Les deux camps sont ceux de l'actuel chef coutumier (ou capitaine), Brigitte Wyngaarde, et de Sylvio Van der Pijl, qui se réclame du titre. Une banale querelle de pouvoir, me direz-vous? Pas exactement.
Il n'existe pas trente-six façons de devenir chef coutumier, mais deux. Soit le capitaine en place meurt, soit il abandonne ses responsabilités. Le conseil des sages, qui rassemble les autorités coutumières, est alors consulté, et un vote (généralement à mains levées) désigne le successeur. Dans le cas présent, l'encéphalogramme de l'actuel(le) chef coutumier se révèle des plus sautillants. Et elle n'exprime aucune intention de quitter son siège. Alors comment un prétendant a pu s'immiscer dans cette histoire? Très simple. Grâce à ses appuis "gouvernementaux"...

UN DÉPUTÉ AU TAPIS
Pour mieux comprendre la situation, et en saisir les enjeux, il est indispensable d'effectuer un voyage dans le passé. Oh, pas très loin. En juin dernier. A l'époque, la bataille législative fait rage dans l'Ouest guyanais. Léon Bertrand, député-maire UMP de Saint-Laurent, président de la communauté de communes et secrétaire d'Etat au Tourisme, brigue un nouveau mandat. En face, l'une de ses plus féroces adversaires n'est autre que la candidate des Verts... Brigitte Wyngaarde (le chef coutumier de Balaté, donc).
Elle ne passe pas le premier tour, mais apporte son soutien à la représentante de la gauche pour le second. Normal. Mais, à la surprise générale, celle-ci éjecte Léon Bertrand de son trône parlementaire. Jubilation, malaise...

Deux jours plus tard, un quasi-inconnu au bataillon affirme qu'il détient une pétition regroupant 200 signatures, et il réclame le départ du capitaine. Il s'agite, perturbe des réunions, invective l'ex-candidate des Verts et déclare que sa gestion du village est aussi partiale que déplorable.
Face à la vindicte de son opposant, Brigitte Wyngaarde propose d'organiser des élections en avril 2008, et ainsi de laisser le soin à la population du village de désigner son nouveau chef coutumier. Refus catégorique de Sylvio Van der Pijl. Etrangement, l'affaire se tasse. Jusqu'au 14 août, date à laquelle elle prend une nouvelle tournure.

LE PUTSCH DU 14 AOÛT
Au matin, la tenue d'un scrutin est annoncée. Allons bon! Au beau milieu des vacances et en l'absence du capitaine, alors dans l'Hexagone. Etrange procédé, que les observateurs n'hésitent pas à qualifier de putsch. Mieux, l'élection a lieu dans l'enceinte de l'école maternelle de Balaté. Le maire a gentiment ouvert les grilles, et prêté les urnes municipales. Seules deux candidatures sont acceptées. Celles de Van der Pijl, évidemment, et celle d'un prétendant fantoche. Résultat : un raz-de-marée en faveur du putschiste.
Dans les jours et les semaines qui suivent, Léon Bertrand adoube son poulain. Il écrit au Conseil général pour que le Département reconnaisse Sylvio comme nouveau chef coutumier et, plus fort, il affrète des bus aux frais de la mairie pour véhiculer une centaine de partisans de Van der Pijl à Cayenne. Objectif : qu'ils manifestent et réclament une audience auprès du président du Département. L'opération se répète deux fois. Au final, rien. En effet, le Conseil général réaffirme la légitimité de Wyngaarde. Depuis, silence radio en mairie, et du côté de Van der Pijl.

Précision : la liste des personnes ayant pris part au vote du 14 août est soigneusement gardée secrète. Et pour cause, puisqu'il s'avère que les votants sont venus de villages extérieurs, et même d'Albina, la ville qui se situe sur la rive surinamaise, en face de Saint-Laurent (Confirmation du maire en personne...).
Par ailleurs, un autre contentieux opposant Wyngaarde et Bertrand se trouve sans aucun doute à l'origine du putsch. En effet, le maire a pour projet de construire un hôtel-casino de luxe à Saint-Laurent. Sur le territoire de... Balaté. Wyngaarde y est fermement opposée. Pas Van der Pijl, bien entendu. Le lien se crée de lui-même, inutile d'en rajouter.

Alors, un ancien ministre et député de la République qui aide à l'organisation d'une élection bidon, qui dans la foulée appuie les putschistes, le tout dans le but de déblayer le terrain - au propre comme au figuré - c'est aussi ça la Guyane.
Drôle de République...

mercredi 31 octobre 2007

Marions-les ! (Paris)


La politique française raffole des alliances contre-nature. Au cours de la IVe République, de René Coty à Vincent Auriol, en passant par Pierre Mendès-France, les personnalités les plus en vue, quel que soit leur bord, multiplièrent les compromissions dans leur quête de pouvoir. D'où une instabilité permanente, nécessitant une révision constitutionnelle en 1958 et la naissance de la Ve République.
Pourtant, ces alliances incertaines se sont poursuivies. Tout le monde garde en mémoire le pacte entre François Mitterrand et Jacques Chirac en 1981 pour favoriser l'élection du premier au détriment de Valéry Giscard d'Estaing, puis celle entre Giscard et Mitterrand en 1988 pour faire trébucher Chirac. Des rapprochements récemment confirmés par Edith Cresson (ex-Premier ministre de Mitterrand en 1991) dans son livre de mémoires.
L'attrait du pouvoir agi comme un révélateur et les politiques du même camp se flinguent allègrement pour faire avancer leurs propres intérêts.
Vingt ans plus tard, rien n'a changé.
Le Président de la République Nicolas Sarkozy fait ainsi entrer des Socialistes au gouvernement pour éviter d'avoir à s'appuyer sur l'aile "chiraquienne" de l'UMP, tandis que l'affaire Clearstream révèle au grand jour les méthodes qu'aurait utilisé le tandem Chirac-Villepin pour nuire à Sarkozy.
A gauche, ce n'est pas beau non plus. L'ancienne candidate à la Présidentielle, Ségolène Royal, se fait détruire à la première occasion venue par Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn (les deux candidats à l'investiture PS), tandis que Claude Allègre et Lionel Jospin tirent à boulets rouges sur la "Dame en Blanc" (laquelle est aujourd'hui plus seule que jamais au sein du PS). Une guerre résultant de la volonté de la présidente de la région Poitou-Charentes de mener sa propre voie, celle d'une "femme libre" lors de la campagne face aux Français.
Objets de toutes les attaques, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal payent cher leur indépendance d'esprit face à leurs "amis". Et pour ne rien arranger, ces deux-là, dont la vie privée est étalée sur la place publique (avec leur consentement), sont aujourd'hui les deux plus grands cocus de la République !
En 2005 les déboires conjugaux de l'actuel président avaient amusé toute la France, lorsque sa femme Cécilia était allée jouer les filles de petite vertu avec un homme d'affaires. L'histoire vait duré tout un été et largement alimenté les pages "people" des magazines.
Mais l'infidèle était revenue au dernier moment (la queue entre les jambes diraient certains) pour soutenir son mari lors de la campagne présidentielle victorieuse... de prendre ses valises et de demander le divorce six mois après l'élection.
Ségolène Royal, de son côté, a dû composer avec les infidélités de son rondouillard de concubin, François Hollande. Si les deux ont aussi préservé les apparences durant la campagne (la candidate évoquant même un possible mariage à Tahiti !), le couple a volé en éclats au lendemain du deuxième tour.
Les deux ex-candidats sont désormais cocus et célibataires. Quelle solution pour redonner de l'allant à la République ?
Une seule : marions-les !
Sarkozy et Royal pourraient devenir nos Clinton (Etats Unis) ou nos Kirchner (Argentine) à nous
Après tout, cette union semblable au mariage de la "carpe et du lapin", ne serait pas la première alliance contre-nature au sein de la politique française..!

vendredi 19 octobre 2007

Le parquet, une histoire de famille (Cambridge)


Il a pourtant ete bien consciencieusement, a l’anglaise, recouvert par une moquette chaude et epaisse, de bon gout cette fois. Mais il est bien la tout de meme. Et il titille, toujours autant, plus que mon oreille, surtout celle de mon voisin. Comme je n’allais pas tarder a l’apprendre, il n’y prete pas qu’une oreille agacee. Et comme toute histoire de parquet qui se respecte, mon voisin est un immigre lui aussi, biensur. Mais un immigre pas comme les autres.

Il est elance, le teint mate, toujours rase de pret, porte le costume et la cravate. Mon voisin est banquier, il travaille a « La City ». Il entend regulierement mon parquet. Il pensait que ces grincements provenaient d’un lit, et m’avouait me trouver bien chanceuse, ose-t-il me dire. Une remarque bien graveleuse qui denote de sa tenue irreprochable, son style si soigne, son language chatie. Cette fois, il se presente a ma porte, dans un survetement decontracte, sa tenue « casual », il n’a neanmoins pas oublie une legere note d’un parfum agreable. Rompant la tradition britannique qui respecte les distances aux heures non alcolisees, il m’embrasse. Il fait particulierement froid en ce moment, un froid sec qui accompagne la journee un grand soleil lumineux. Car contrairement a toutes les recommandations ironiques de mes amis avant mon depart, m’armant d’un parapluie, d’un vetement de pluie en plus d’une bouteille de gin pour mon insertion douce dans la vie anglaise, le climat du Cambridgeshire est plutot sec et ensoleille. Les lunettes de soleil y sont meme frequemment de rigueur chez les Anglais, parfois meme sous la pluie, comme les bras nus malgre des temperatures propices au gel. Enfin, c’est une toute autre histoire. Revenons-en a mon voisin. Il me regarde penaud, simule un grelottement et le voila installe dans mon salon. Je ne m’attendais decidement pas a cette incursion, m’interroge sur le sens de cette visite mais il est trop tard. « Ma foi, c’est l’occasion de mieux connaitre le representant d’un milieu qui m’est plutot inconnu et pour lequel je pourrais avoir de mauvais a-priori », me dis-je alors. Il est toujours bon de lutter contre ces tendances toutefois naturelles et instinctives. Je me mets donc en tete de l’ecouter, car mon voisin est plutot peu timide et bavard. Il est aussi decidement un battant, un gagnant. Outre son equipe de football dont il glisse etre la star, il aime travailler sous pression, resoudre ces multiples defis quotidiens qui lui incombent et remporter ainsi toujours plus de victoires. Il vient aussi d’obtenir une promotion. Son visage se transforme, je le sens revivre et savourer ces instants de reussite. Je pense que decidement j’ai face a moi une caricature. Il parle avec une certaine fierte, pense certainement fasciner. Et je m’apercois que l’espace d’un instant, il me fait peur, son visage me semble devenir machiavelique. Je m’etonne moi-meme de ce sentiment qui m’accapare, le souvenir de son parfum assez discret me revient. Puis je comprends. Mais biensur, il me rappelle ce heros du roman de Bret Easton Ellis, ce golden boy de Manhattan qui se transforme en un assassin sans merci des la nuit venue. J’evacue ces images terribles suite auxquelles j’avais abandonne la lecture de ce livre qui me devenait insoutenable. Je retrouve mes esprits.

On en vient a parler de son expatriation. Oui car mon voisin est Colombien, il possede aussi la nationalite espagnole. Mais il a quitte ce deuxieme pays, dans lequel il a vecu de nombreuses annees, ou il se sent pourtant plus etranger qu’en territoire anglais. Un accent trop reconnaissable, qui lui rappelle sans cesse l’equivalent du statut accorde ici aux Indo-Pakistanais ou aux Polonais, qu’on lui attribue la-bas en terre espagnole. Un accueil pas tres chaleureux si je comprends bien. Il en est tout autrement ici, a Cambridge. Les immigres ne portent pas le turban, mais la cravate. On prefere l’exotisme latino-americain a l’oriental. Je pense alors a ces nombreux Anglais qui eux aussi s’expatrient, pour beaucoup vers la France. Un sentiment de crainte m’envahit. N’est-ce pas aujourd’hui que s'est deroulee cette rafle organisee en haut lieu ? Car c’est bien le mot de rafle qui a ete employe dans ce message laisse dans nos boites aux lettres, a faire froid dans le dos. Mes nouveaux compatriotes qui ont fuit ne remplissent pas les regles requises, ne parlent pas le francais le plus souvent, ne font pas necessairement preuve d’une volonte d’integration.
Non, je suis rassuree, ils ont des papiers mais surtout un pouvoir d’achat inegalable. Oserez-vous les appeler immigres d’ailleurs?

Ambiance... (Paris)

Voilà ce que j'ai reçu aujourd'hui sur ma boîte mail...

Ci-dessous message urgent transmis par la LDH nationale. L'info semble fiable et elle doit être l'occasion de rappeler tous les SP à la plus grande prudence, demain et les autres jours :
1/ Eviter de se déplacer.
2/ Si on y est contraint, éviter les gares et le métro, privilégier le bus ou la marche.
3/ Se déplacer avec son titre de transport, mais sans passeport.
4/ Ne se rendre à aucune convocation sans avoir prévenu et être accompagné.
5/ Ne pas ouvrir sa porte si on ne sait pas qui frappe. Relayez et prévenez autour de vous. Diffusez l'affichette RESF ci-jointe.

Resf 93---- Original Message -----From: Jean-Pierre Dubois To:Sent: Thursday, October 18, 2007 11:13 AMSubject:

Attention message extrêmement urgent
Chers amis,
Des sources sérieuses prévoient pour demain vendredi 19 octobre une rafle d'une ampleur sans précédent, à la faveur des difficultés de communication et de la mobilisation sur d'autres enjeux d'un certain nombre de citoyens actifs.
Si vous avez la possibilité de joindre des sans papiers autour de vous, conseillez-leur vivement, dans toute la mesure du possible, de ne pas sortir de chez eux demain.
Amicalement,
Jean-Pierre Dubois.
Texte du tract RESF

Parce que depuis cet été les contrôles, les arrestations, les mises en
rétention et les expulsions d’étrangers se multiplient…
informe toutes les personnes sans papiers, et surtout celles qui attendent une
réponse à leur demande de titre de séjour ou ont reçu récemment une Obligation de
Quitter le Territoire Français ou un Arrêté de Reconduite à la Frontière :
RESF93 : c/o Ligue des Droits de l’Homme Bourse du Travail 9-11 rue Génin 93200 Saint-
Denis - Contact : resf93@msn.com - Permanences d’accueil : http://resf-93.blogspot.com
EN CAS DE VISITE DE LA POLICE À VOTRE DOMICILE,
N’ouvrez-pas votre porte !
Prévenez votre avocat, vos voisins, vos amis.
« Si la personne (à contrôler) refuse d’ouvrir sa porte, la procédure au domicile prend fin ».
(Circulaire du 21.2.06 sur les conditions d’interpellation d’un étranger en situation irrégulière)
EN CAS DE CONVOCATION AU COMMISSARIAT
OU EN PRÉFECTURE, VOUS RISQUEZ D’ETRE INTERPELLE.

N’y allez pas seul !
Prévenez une association pour vous faire accompagner Le Réseau Education Sans Frontière du 93
EN CAS D’ARRESTATION
Vous avez droit à un coup de téléphone, à voir un médecin et un
interprète, à recevoir les conseils d’un avocat.
Prévenez quelqu’un qui pourra avertir une association
Donnez tous les détails de l’arrestation (lieu, heure exacte) et de ce qui a suivi (Arrêté de
reconduite à la frontière, rendez-vous avec le juge ...)
Vous avez le droit de ne pas signer les documents qu’on vous présente
VOUS RECEVEZ UNE DECISION DE REFUS DE SEJOUR
Faites tous les recours auxquels vous avez droit dans les délais
Ne restez pas isolés : contactez une association

mercredi 17 octobre 2007

Poulets taquins (Paris)




Au bout du marché Dejean, parfois, s’envole une nuée de pigeons noirs. Il ne s’agit pas là d’une volaille malvenue engraissée par des vieillards turbulents, mais d’une multitude de femmes africaines qui, au quotidien, déroulent leur modeste marchandise. Un morceau de carton sur une poubelle fait office d’étale, on y vend quelques fruits exotiques introuvables chez le commun des primeurs. Un vieux chariot de supermarché retoqué se transforme en grill à maïs. Quelques Pakistanais cherchent à fourguer leur camelote, une ceinture, un peigne, quelques paires de lunettes de mauvais goût, des jouets pour les enfants de pauvres.

Une meute bleue s’abat régulièrement sur le joyeux bordel. Comme dans les films animaliers, les flics qui la composent choisissent leur proie, ceux qui peuvent s’échapper ne protestent pas et s’égaillent aux alentours. Un mouvement de panique s’empare de la foule bigarrée, peu de blancs courent, on ne chasse pas sa race.

Au bout de la rue de Panama, à l’intersection d’avec la rue Léon, se situe un bar où j’ai quelques habitudes. Même s’il est tard, la rue s’anime parfois. Des voitures aux sirènes hurlantes envahissent la chaussée, une, deux, trois, quatre, cinq, six, une camionnette. Quelques uniformes bleus en sortent un instant, puis s’engouffrent à nouveau dans leurs véhicules qui repartent en trombe. Je sirote mon demi, intrigué, jette un œil dans la rue, je n’ai rien à craindre, je suis blanc après tout.

Un quotidien français payant qui cherche depuis lundi à ressembler aux journaux gratuits se posait la légitime question de savoir si le mot rafle était vraiment approprié à ce genre d’activités policières. Le débat sémantique, mené par les lecteurs et quelques spécialistes, ne devait pas trancher. Aussi les termes demeurent-ils vagues pour définir ce nouveau sport en vogue chez les pandores.

On pourrait penser que tout cela relève de l’anecdote, voire du folklore. Mais s’insinue depuis quelque temps, depuis que les gradés sont soumis aux mêmes règles de productivité que les VRP, un véritable sentiment de panique humiliée dans le quartier. Sentiment renforcé par les débats nationaux qui stigmatisent l’ensemble d’une population dont on pourra bientôt relever l’ADN. On demandait hier aux esclaves d’ouvrir la bouche pour vérifier leurs dents, et juger ainsi de la qualité de la marchandise. On demandera demain à celui qui souhaite venir en France d’ouvrir la bouche pour lui prélever un peu de salive, et juger ainsi de sa qualité potentielle de futur ressortissant. Je ne fais pas ici de parallèle intempestif, n’en déplaise au lecteur qui oublie, par pudeur ou timidité, de signer ses propos. Il y a des humiliations qui, si insignifiantes semblent-elles être sur le moment, font gonfler les rancoeurs comme des bubons infectés. Et qui lorsqu’ils éclatent ces bubons salissent de leur propre sang les responsables de leur prolifération. Je reste dans le symbole mais les symboles comptent, ils valent bien d’autres combats. Fut un temps où la France relevait le gant de sa propre audace, insufflait aux autres nations sa manière de voir, soulevait par la puissance de ses penseurs et de son peuple frondeur les grandes pesanteurs de modèles qu’on croyait indépassables. On accepte aujourd’hui les pires ignominies parce que ça se fait ailleurs, et parce que ailleurs cela ne provoque pas de débat. Parce que tout ce que l’on peut proposer d’un peu original apparaît comme une absurdité dans l’uniformité totalitaire du monde de demain. On me dira que la question de l’ADN n’est que le chiffon rouge, qui permet aux BHL et autres de se refaire une virginité moralisatrice, alors que toutes les saloperies passent à l’assemblée comme les lettres à la poste. Et je dirai que vous n’avez pas tort.

Revenons donc à nos gnous. Nous qui n’en sommes pas, qui pouvons voyager aux quatre coins du monde en charter payant sans tirer la langue, sommes obligés d’une manière ou d’une autre de nous habituer à ce genre de spectacle répugnant. Sans alternative, sinon celle de déverser sa bile ici ou ailleurs, nous nous plions. Combien de temps encore ?

lundi 8 octobre 2007

Armstrong, je ne suis pas noire... (Kinshasa)


J'ai posé le pied sur le sol de l'ex-Zaire de Mobutu il y a maintenant 2 jours.
La République démocratique du Congo sera ma terre d'asile pour quelques mois.
Ceux qui ont eu cette chance savent que l'intronisation dans un nouveau pays induit toujours certaines remises à plat de clichés réducteurs mais s'avère également être synonyme de joyeuses découvertes.
A défaut d'avoir su créer mon propre blog à mon arrivée au Yemen il y a 2 ans (qui a pouffé ?), j'accepte donc la proposition de mon cher camarade de promo rennais de 1998 et me jette à l'eau. Vous serez les témoins du grand saut que je m'apprête à exécuter dans cette nouvelle jungle urbaine.
Si plongeon il y a.
Car je suis, pour le coup, arrêtée tout net sur le haut du plongeoir. Non pas que la température soit fraîche, attention. Suis bretonne après tout. Mais il semblerait qu'un filet de sécurité ait été subrepticement placé entre ma petite personne et la réalité kinoise. Je m'explique : des gens bien intentionnés m'avaient prévenue avant mon départ que la RDC n'était pas la panacée de la liberté pour une "mendele" comme moi. "Là-bas, une partie du pays est en guerre et les règles de sécurité sont strictes". Soit. Mais je partais confiante dans l'idée que, ayant survécu pendant deux ans à un statut plus qu'original de "troisième sexe" dans un pays musulman magnifique mais pas très fun, j'allais enfin pouvoir m'éclater parmi les Africains. Que nenni. Dès mon arrivée, une vérité s'est imposée à moi : je ne suis pas noire et je ne pourrai jamais faire semblant de l'être.
Dans l'attente d'une nouvelle prise de fonctions professionnelles, je décide de profiter de ces quelques derniers jours de liberté pour flâner dans la capitale. Non sans avoir été chaleureusement invitée à louer une voiture avec chauffeur. Ah bon, mais pourquoi ?
Enfermée à double tour dans une merkos défoncée conduite par Jean-Michel, Africain pure souche, je sillonne les rues de Kin-la-Belle -aujourd'hui surnommée Kin-la-Poubelle par ses habitants- afin d' y découvrir son âme. Ou y flairer son ambiance, pour les plus pragmatiques (vous me direz qu'il est difficile de flairer quoi que ce soit portes et fenêtres fermées et vous n'aurez pas tort). Ben oui, "l'utilisation de taxis et de bus ainsi que la marche à pied, seule, de jour comme de nuit sont fortement déconseillées" dixit tous les européens croisés ici. De telles conduites conduiraient à ma perte et je risque l'agression et le vol (le plus souvent par des faux policiers, c'est un comble). Soit.
Guide exemplaire puisque kinois d'origine , Jean-Michel m'offre donc du "Madame" à tout bout de phrase, révérences et courbettes comprises, malgré ma proposition de m'appeler tout simplement par mon prénom. Des gamins en guenilles, des femmes avec enfants et des anciens estropiés me demandent plus de 30 fois par jour un billet pour manger. Je refuse. On me regarde alors d'un oeil mauvais. Je n'ai que 28 ans, un compte en banque proche de la banqueroute et je ne suis qu'une blanche radine qui garde tous ses gros sous pour elle. Voila ce que je lis dans les regards sombres que je croise. (Vous me direz, ca change du regard salace des Yémenites qui ne voyaient dans ma couleur de peau que la légèreté de mes mœurs d'européenne).
Avec du recul, le peu de contact que j'ai finalement noué avec les kinois ces derniers jours sera resté très superficiel et d'un déséquilibre flagrant. Je dois me faire à l'idée que, pour 90 pour 100 des habitants de cette ville, je ne suis qu'une bourse sur pattes. Un porte-monnaie géant, j'entends. La "patronne", quoi.
Le passé de ce pays y est pour beaucoup évidemment. Baudoin et ses collaborateurs belges ont été remerciés il y a moins d'un demi-siècle et le pays n'est indépendant que depuis 1960. Les guerres à repétiton dans lesquels les ennemis sont multiples et changeants, l'absence criante de l'Etat et la pauvreté généralisée de ses habitants depuis quelques années n'arrangent rien. Ni les innombrables ONG européennes présentes dans le pays. Ou encore l'existence du quartier le plus huppé de Kinshasa, celui de la Gombé dans lequel les Européens sont tous parqués dans de superbes villas dont les loyers, indécents, frôlent la brique de dollars, à quelques kilomètres des bidonvilles. Une étrange promenade y longe le mythique fleuve Congo ; ici, point d'embouteillages et de bruits de klaxons. Bien gardés par des militaires dans un cadre idyllique, seuls les blancs en short, qui marchent, courent ou roulent à vélo ont le droit de profiter de la vue sur Brazzaville.
De quel coté de la barrière me trouve-je ? Celui des bourreaux ou celui des victimes ? Pas de réponse qui se tienne.
Je suis blanche dans un pays ou les gens sont noirs. C'est donc noté, enregistré, d'un coté comme de l'autre.
Malgré tout, rien n'est figé. Tout peut encore arriver.


dimanche 7 octobre 2007

A priori (Le Caire)


Suite aux diverses polémiques suscitées en France par les associations musulmanes qui réclament des horaires spéciaux à la piscine pour les femmes qui ne veulent pas dévoiler leur féminité aux regards lubriques des mâles pervers ; suite aux problèmes que rencontrent les médecins obstétriciens ou autres gynécologues dans les services d’urgence des hôpitaux avec des maris musulmans qui refusent catégoriquement que de virils docteurs Ross auscultent leur moitié ; suite au débat sur la laïcité qui remet en cause notre chère séparation entre le religieux et le civil depuis bien trop longtemps (ah ! le collège de Creil dont je ne peux orthographier le nom) ; bref suite à toutes ces polémiques, même les plus tolérants et les plus ouverts d’entre nous se sont interrogé sur l’Islam et le médiévalisme que certains de ses fidèles véhiculent.
Depuis un peu plus d’un mois que je vis dans un pays arabe à majorité musulmane, j’ai eu l’occasion de voir : les deux premiers wagons du métro sont réservés aux femmes ; au club de sport dans lequel je suis inscrit, il y a une piscine à l’abri des regards, réservée aux femmes. Certaines futures visiteuses craignent déjà de devoir se soumettre à ces règles. En fait, il ne s’agit pas d’obligations mais de choix. Les wagons qui ne sont pas réservés aux femmes sont mixtes. A la piscine, il y a quatre bassins plus ou moins séparés : le premier avec des lignes d’eau pour nager, le deuxième pour la marmaille barboteuse, le troisième pour les adultes barboteurs et bronzeurs, le quatrième réservés aux femmes jusqu’à 16h00 et aux familles ensuite. Dans le premier et le troisième on peut sans former un esclandre se vautrer sur les transats, hommes et femmes, arabes ou occidentaux, en moule-bite ou en short, en bikini ou en une pièce (le bikini étant la norme). Au choix. Sans pression.
Alors, nous dit-on tout sur ces problèmes en France ou bien garde-t-on la pseudo-information dans un flou artistique pour stigmatiser un peu plus la population musulmane française ? Ou les grands frères des cités sont-ils vraiment des tortionnaires qui forcent leurs sœurs et autres cousines à se voiler parce que sinon c’est des salopes ? Comment ça se passe vraiment à la Goutte d’Or ou avec les Turques berlinoises ?

A bientôt.

jeudi 4 octobre 2007

Quand le Rhin traverse l'océan indien (La Réunion)


Après tout, un Dom, c'est un petit bout de France à l'autre bout du monde. La formule fait rêver les notables métropolitains, qui dans un élan post-colonial savourent cette présence tricolore dans tous les océans de la planète. Bon, ça c'est pour la formule sur le papier des discours officiels. Le hic, c'est que la réalité est beaucoup plus terre-à-terre. Lors d'un JT du soir à La Réunion, la chaîne locale RFO reprend, comme tous les soirs, plusieurs sujets nationaux du JT de France 2, qu'elle mêle aux sujets locaux. Jusqu'ici tout va bien. Sauf que lors du lancement d'un sujet sur les transports en Allemagne, la présentatrice - une créole qu'on ne saurait accuser de méprise - oublie visiblement d'adapter la phrase de lancement de ses confrères parisiens : "(...) Voyons tout de suite le reportage de Bernard Dupont chez nos voisins d'outre-rhin."
La formule fait mouche, mais elle passera sans doute inaperçue. Les Réunionnais sont vaccinés. Dans ces moments-là pourtant, devant le petit écran, la ménagère réunionnaise de base a beau se sentir française à 300%, il faut qu'elle soit imaginative pour envisager le Rhin là à côté de l'île, au beau milieu de l'océan indien, à 10 000 kilomètres de toute présence germanophone. Les voisins ici, désolé pour les chantres de la mobilité, c'est plutôt l'île Maurice et Madagascar. Mayotte, les Seychelles aussi.
Mais d'eux, on en parle très rarement à la télé et la coopération régionale balbutie.
Aussi dans les journaux réunionnais, on trouve régulièrement des pages toutes faites achetées à des agences métropolitaines et publiées telles quelles. C'est le cas par exemple d'une page jardinage ou d'une page dédiée aux enfants. La plupart du temps, ça passe. Après tout, les enfants d'ici et d'ailleurs sont les mêmes. Sauf lorsqu'il est écrit, photos de boules de neige et de luge à l'appui, "L'hiver commence, c'est l'heure d'aller faire du ski à la montagne." Traduisez : enfile bien ton bonnet, petit Réunionnais, car... euh, l'été et ses chaleurs moîtes débarquent. L'inverse est sympa également : "L'été arrive, c'est le moment d'aller à la plage et de protéger sa peau". Pour le petit Réunionnais, c'est l'hiver qui commence et... ça ne l'empêche pas d'aller à la plage sans protéger sa peau. Quant à la page jardinage, il s'agit de la saison des fraises qu'on ne trouve pas ici, ou de l'arrivée tant attendue des letchis malgaches en métropole alors que La Réunion bataille pour lutter contre leur concurrence déloyale...
Une p'tite autre pour la route. Un Parc national a été créé il y a quelques mois à La Réunion pour protéger les joyaux naturels que sont ses trois cirques et son volcan. Comme il s'agira ensuite de faire passer pas mal d'interdictions et de susciter des comportements responsables chez les citoyens, la préfecture et la Diren décident de faire de l'appropriation du Parc par la population locale un préalable essentiel à la réussite de la structure. De grandes affiches sont placardées aux quatre coins de l'île. Et comme faut faire local, les zoreils (nom donné aux métros à La Réunion) de la Diren se la jouent langue créole dans le slogan : "Le Parc National est né. Not île, not parc, not fierté". Sauf qu'en créole, on dit... "Nout île, nout parc, nout fierté".
Vous me direz, c'est pas si grave tout ça. En tout cas, ça l'est moins que la leçon "mes ancêtres les gaulois" apprise en son temps à tous les chérubins d'Afrique noire et d'Algérie, au mépris de leur propre histoire.
Sauf que ces p'tites bourdes traduisent bien l'état du compromis, encore proche du grand écart, entre une île certes française et européenne, perfusée par leurs aides et influencée par leur modèle de société, et une évidence géographique, un potentiel de développement forcément régional, avec ses vrais voisins, sur la base justement de ses spécificités et de sa réalité culturelle et sociale.
Et si je vous disais qu'un billet d'avion pour la métropole depuis La Réunion coûte une fortune et revient moins cher en passant par Maurice ? Et qu'un billet Réunion-Maurice (200 km) coûte quatre fois plus cher qu'un billet Paris-Berlin ?
Au risque de froisser les notables et peut-être même certains Réunionnais qui ne s'étonnent même plus d'entendre davantage parler de leurs voisins d'outre-rhin que de ceux de l'hémisphère sud, un Dom, c'est aussi et sans doute d'abord un petit bout du monde à l'autre bout de la France.

mercredi 3 octobre 2007

Ça farandole, ça batifole, ça se goberge… (Paris)


Lu dans Le Monde du mercredi 3 octobre 2007. Henri Weber convole, une pleine page avec photos du « journal du soir », plus le seul depuis Direct soir, dont je conseille vivement la lecture de la Une qui, au rythme du métronome, affiche le portrait plein pied de notre petit führer. France soir quant à lui… a choisi d’irriter les anus même les moins horribilis, foutu papier journal.
D’aucuns me diront « Mais qui est Henri Weber ? Celui qui a écrit « Les fourmis » » ? Non, bande de chenapans incultes, Weber fut un temps, aux cotés du papa de Besancenot – en l’occurrence Alain Krivine – une figure en vue du trotskisme. C’était le temps des illusions, on sortait alors de mai 68, on biaisait sur l’Internationale, on construisait la Ligue communiste révolutionnaire, on s’arrachait Rouge. Une époque révolue en somme, celle des pharaons et des poings levés. Bon, à mettre à son actif, il s’est conduit en grande personne après ses débordements adolescents, s’est converti au socialisme – celui qui fait vivre, et bien -, député européen et Garde rouge du courageux Laurent Fabius qui, après De Gaulle, a su dire non, c’était en 2005…
Notre bon Weber avait donc jusqu’à aujourd’hui, comble de l’anticonformisme, refusé de passer devant le maire. Il s’y est résolu, probablement les allégements fiscaux me direz-vous, bande de jaloux. Certes, mais n’auriez-vous pas fait pareil pour vous payer une petite partie fine au Cirque d’hiver ? En compagnie de 800 convives triés sur le bidet ? L’un dans l’autre c’est quand même rentable d’avoir du fric. Y avait donc Jospin et madame, Ségolène en blanc buvant du rouge – blanc sur rouge… -, Romain Goupil qui lève le poing, Bernard Kouchner et madame Ockrent, Martin Hirsch, quelques patrons grandes fortunes – l’Oréal, Lazard… –, Dominique Strauss-Kahn, Alain Minc, Jean-François Kahn, Patrice Duhamel, Jérôme Clément, Patrick de Carolis… oups, failli oublier Gérard Miller, désolé Gérard. On s’arrête-là, les raviolis ont du mal à passer. Presque que des gens de gauche, quoi.
Bon, ce jour-là, dans la même édition, paraissait l’avis de décès de Pierre Dauzier, ancien président du groupe Havas, président de la Fondation du sport, commandeur de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite, officier de l’ordre national du Mérite agricole (sic), dans sa 69è année. Y a une justice.

La Goutte

lundi 1 octobre 2007

Le parquet (Paris)


On ne m’avait pas prévenu, pas fait passer le mot. Je m’en mordais les doigts, il fallait bien pourtant que je m’adapte.
L’appartement, aussi grand que mes moyens me le permettaient, m’avait paru très engageant, je m’étais engagé. Quatre pièces si l’on comptait une entrée aussi dérisoire qu’inutile, une cuisine aussi bien aménagée que futile – là il ne s’agissait que de mon peu de goût pour les délices de la table – et une salle de douches-toilettes intégrées. Un plancher splendide et peu d’attrait pour la recherche immobilière avaient achevé de me convaincre. Le compte était bon, il y avait bien quatre pièces, seuls les mauvais coucheurs me faisaient sentir parfois qu’il ne s’agissait que d’un studio. Ca perdait en standing, j’en souffrais. Mais le parquet était splendide, peut-être le plus splendide de Paris, solide comme un roc, aucune inquiétude de passer à travers. Seules les petites interstices entre les lattes tempéraient mon enthousiasme, j’imaginais déjà devoir gratter les miettes et poussières de toutes sortes qui ne manqueraient pas d’y trouver refuge.
En entrant dans les lieux, j’avais compris pourquoi Haussmann eut un jour le bon goût de raser les quartiers populaires. Certes, il n’avait pas dû beaucoup s’éloigner des rives de la Seine pour s’enfoncer dans les bouges périphériques. Et y tirer au cordeau d’impeccables rues gentiment ombragées. Il avait en revanche, ce bon baron, inscrit pour longtemps dans l’inconscient collectif le goût pour la pierre de taille, les larges fenêtres et le subtil mélange du blanc éclatant assombri par la teinture des bois, goût qu’il avait sans conteste transmis à l’architecte de l’immeuble qui devait m’abriter.
Le plancher grinçait subtilement, accompagnait chacun de mes pas. J’y trouvais une nouvelle esthétique, entouré d’un halo de fumée transpercé par la lumière tombante, parcourant les trois pas que m’offrait l’écartement des murs. J’y découvrais, m’accoudant un instant respirer la fraîcheur du soir, le charme satisfait d’une existence bourgeoise. Lorsque…
Ça tapait quand même un peu fort au-dessus de ma tête. Du plafond me parvenaient des bruits sourds et saccadés. Pas ceux qu’aurait produits le pas d’un adulte bedonnant, non. Il y avait quelque chose d’aérien au contraire dans ces pics en rafales. La pointe acérée d’une danseuse à l’entraînement, peut-être, le quartier en était infesté. Les loyers, pour peu qu’on était dans les murs depuis plusieurs années, permettaient encore à quelques intermittants de se loger intra-muros. J’imaginais déjà le galbe soyeux des jambes de ma voisine, dont je ne manquerai pas sous-peu d’admirer l’esthétique. Le rythme anarchique de l’échauffement m’intriguait pourtant, peut-être du contemporain. Dernières vaguelettes de rêve contre la réalité, il s’agissait, je n’en doutais plus, d’un enfant…
Le problème des quartiers populaires c’est au fonds que des miséreux y vivent aussi. Et que le parquet s’adapte bien mal à la misère, pour les voisins du dessous du moins. Dans l’exacte surface que j’habitais logeait un couple d’Indiens, je devais le découvrir bientôt. Et les canons de confort des Indiens parvenus, on ne sait par quel chemin, dans notre accueillante capitale, ne sont pas loin s’en faut conformes à ceux de nos contrées développées. Cela ajouté à un violent désir d’enfanter dès que l’on se conjugue rendait la situation délicate pour qui s’installait dans la périphérie. Fidèle à mes principes on ne peut plus humanistes, je décidais me m’adapter, me voyant mal grimper l’étage qui nous séparait, frapper à la porte d’un poing ulcéré : "Je travaille, moi, entravez cet enfant !"
Ou plus conciliant : "Que diriez-vous d’investir dans un de ces grands tapis de prière qu’on vend, à des prix dérisoires pour qui gagne sa vie, paie ses impôts et dispose de papiers parfaitement en règle ?"
Cette seconde solution recueillit finalement mes faveurs. J’évitai néanmoins la confrontation, appelai la Préfecture pour dénoncer l’existence d’un atelier clandestin, prévins les pompiers qu’un feu se déclarait, et la maréchaussée.

Bien sûr, je manifestais quelques jours plus tard, à l’appel de mes camarades, contre l’insupportable politique de notre gouvernement. Bien sûr je dénonçais le fichage et le flicage, bien sûr ! Mais le goût de mes clopes et des splendides parquets s’en trouva renforcé…

Depuis peu loge, au-dessus de chez moi, une belle danseuse dont j’admire, parfois, le galbe soyeux des jambes…

La Goutte

L'Etat, ce grand illusionniste (Guyane)


Lorsque la Guyane apparaît dans les médias, ce n'est que trop souvent pour mettre en avant l'une des multiples difficultés qui perturbent le quotidien de ses habitants. Qu'ils soient liés à la criminalité, l'environnement, l'immigration (pour peu qu'il s'agisse là d'un réel problème pour un département qui s'est forgé une identité grâce à ses innombrables migrants, donc il serait plus juste d'employer le terme de clandestinité, qui dès lors véhicule nettement plus d'aspects négatifs), les éléments parasitaires sont légion. Mais ces maux sont connus de tous. Pour la simple et bonne raison qu'ils existent et perdurent depuis des dizaines d'années. Alors, quand Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du co-développement débarque, comme tant d'autres avant lui et son actuel président en tête, les Guyanais n'ont même plus la force d'esquisser un sourire narquois. Des promesses, encore. Des idées, des projets, encore. Une volonté farouche d'apporter des changements, encore... Comme Nicolas Sarkozy en 2006, le ministre semble découvrir la situation. Visage fermé, il écoute le procureur de la République, les gendarmes, les douaniers, les policiers. La population? Pas le temps, sa visite dure moins de 48 heures. Il effleure la surface d'un regard froid, visiblement impatient de regagner au plus vite ses bureaux parisiens. Malheureusement pour lui, et c'est rare quand un représentant du gouvernement effectue un passage en Guyane, son séjour ne coïncide pas avec un lancement d'Ariane 5... Par conséquent, il ne prête qu'une attention toute relative aux trafics interlopes de denrées alimentaires importées par je-ne-sais-quel-biais malicieux sur les marchés de Guyane, et s'aveugle prodigieusement lors d'une énième inspection furtive. Sorte de "clou du spectacle", celle-ci se déroule dans les environs de Grand-Santi, l'une des quatre principales communes (parmi les nombreux villages "écarts") qui bordent le Maroni (fleuve situé à l'Ouest, qui sépare la Guyane du Surinam). Objet : descente sur un site d'orpaillage clandestin que gendarmes et militaires viennent de "nettoyer". Saisies : un peu de matériel, un peu de nourriture, un peu d'or, et 28 personnes interpellées. Pour la plupart des Garimperos, ces chercheurs d'or brésiliens miséreux qui, exploités jusqu'à l'os, se tuent à la tâche dans l'espoir de découvrir quelques pépites à boire ou à envoyer à leur famille. Quelques femmes, aussi. Des "cuisinières", dont la présence ne se limite pas exactement à mitonner des petits plats. Le ministre se félicite de la prise, les autorités également. Question à l'un des clandestins arrêtés : "Combien étiez-vous ici il y a trois jours?" Réponse, dans un demi-sourire : "Bah, environ 500." En réalité, les 28 ne sont là que parce qu'ils l'ont décidé. D'ailleurs, menottes aux poignets, ils portent leurs valises. En décembre, les gendarmes savent qu'ils feront des prises bien meilleures. L'année dernière, j'écoutais médusé un orpailleur me décrire le processus. "En fin d'année, beaucoup de clandestins veulent rentrer chez eux, mais ils n'ont pas un sou pour voyager, glissa-t-il. Alors ils se laissent arrêter, et la France les renvoie au pays." Deux mois plus tard, le temps nécessaire pour traverser la forêt par tous les moyens possibles, ils sont de retour pour creuser, creuser, creuser. Mais, entre temps, les statistiques de reconduites à la frontière ont apporté satisfaction dans les ministères. Avec plus d'un tiers de la population ne disposant pas de la nationalité française, rien de plus simple. Il suffit d'en prendre dix, de les mettre dans une pirogue et de leur faire traverser le fleuve. Le Maroni à l'Ouest (vers le Surinam), ou l'Oyapock à l'Est (frontière brésilienne), et le tour est joué. Une heure plus tard, les expulsés retrouvent leur famille coté français, Hortefeux le sourire, et Sarkozy de beaux chiffres à servir chaud à la grande presse parisienne. Rien dans les mains, rien dans les poches...