mercredi 17 octobre 2007

Poulets taquins (Paris)




Au bout du marché Dejean, parfois, s’envole une nuée de pigeons noirs. Il ne s’agit pas là d’une volaille malvenue engraissée par des vieillards turbulents, mais d’une multitude de femmes africaines qui, au quotidien, déroulent leur modeste marchandise. Un morceau de carton sur une poubelle fait office d’étale, on y vend quelques fruits exotiques introuvables chez le commun des primeurs. Un vieux chariot de supermarché retoqué se transforme en grill à maïs. Quelques Pakistanais cherchent à fourguer leur camelote, une ceinture, un peigne, quelques paires de lunettes de mauvais goût, des jouets pour les enfants de pauvres.

Une meute bleue s’abat régulièrement sur le joyeux bordel. Comme dans les films animaliers, les flics qui la composent choisissent leur proie, ceux qui peuvent s’échapper ne protestent pas et s’égaillent aux alentours. Un mouvement de panique s’empare de la foule bigarrée, peu de blancs courent, on ne chasse pas sa race.

Au bout de la rue de Panama, à l’intersection d’avec la rue Léon, se situe un bar où j’ai quelques habitudes. Même s’il est tard, la rue s’anime parfois. Des voitures aux sirènes hurlantes envahissent la chaussée, une, deux, trois, quatre, cinq, six, une camionnette. Quelques uniformes bleus en sortent un instant, puis s’engouffrent à nouveau dans leurs véhicules qui repartent en trombe. Je sirote mon demi, intrigué, jette un œil dans la rue, je n’ai rien à craindre, je suis blanc après tout.

Un quotidien français payant qui cherche depuis lundi à ressembler aux journaux gratuits se posait la légitime question de savoir si le mot rafle était vraiment approprié à ce genre d’activités policières. Le débat sémantique, mené par les lecteurs et quelques spécialistes, ne devait pas trancher. Aussi les termes demeurent-ils vagues pour définir ce nouveau sport en vogue chez les pandores.

On pourrait penser que tout cela relève de l’anecdote, voire du folklore. Mais s’insinue depuis quelque temps, depuis que les gradés sont soumis aux mêmes règles de productivité que les VRP, un véritable sentiment de panique humiliée dans le quartier. Sentiment renforcé par les débats nationaux qui stigmatisent l’ensemble d’une population dont on pourra bientôt relever l’ADN. On demandait hier aux esclaves d’ouvrir la bouche pour vérifier leurs dents, et juger ainsi de la qualité de la marchandise. On demandera demain à celui qui souhaite venir en France d’ouvrir la bouche pour lui prélever un peu de salive, et juger ainsi de sa qualité potentielle de futur ressortissant. Je ne fais pas ici de parallèle intempestif, n’en déplaise au lecteur qui oublie, par pudeur ou timidité, de signer ses propos. Il y a des humiliations qui, si insignifiantes semblent-elles être sur le moment, font gonfler les rancoeurs comme des bubons infectés. Et qui lorsqu’ils éclatent ces bubons salissent de leur propre sang les responsables de leur prolifération. Je reste dans le symbole mais les symboles comptent, ils valent bien d’autres combats. Fut un temps où la France relevait le gant de sa propre audace, insufflait aux autres nations sa manière de voir, soulevait par la puissance de ses penseurs et de son peuple frondeur les grandes pesanteurs de modèles qu’on croyait indépassables. On accepte aujourd’hui les pires ignominies parce que ça se fait ailleurs, et parce que ailleurs cela ne provoque pas de débat. Parce que tout ce que l’on peut proposer d’un peu original apparaît comme une absurdité dans l’uniformité totalitaire du monde de demain. On me dira que la question de l’ADN n’est que le chiffon rouge, qui permet aux BHL et autres de se refaire une virginité moralisatrice, alors que toutes les saloperies passent à l’assemblée comme les lettres à la poste. Et je dirai que vous n’avez pas tort.

Revenons donc à nos gnous. Nous qui n’en sommes pas, qui pouvons voyager aux quatre coins du monde en charter payant sans tirer la langue, sommes obligés d’une manière ou d’une autre de nous habituer à ce genre de spectacle répugnant. Sans alternative, sinon celle de déverser sa bile ici ou ailleurs, nous nous plions. Combien de temps encore ?

3 commentaires:

PrincessK a dit…

Colère quand tu nous prends !
Whaou ! ça fait du bien !
Avis modeste mais sincère : surtout, ne pas fermer les yeux, surtout ne jamais se taire !
Regarder, parler, échanger, réfléchir ensemble sont, me semble-t-il, nos seules chances de ne pas sombrer.
Et puis, aussi, nous penser comme appartenant au monde - sans pour autant prétendre pouvoir le conseiller ou le diriger - devrait aussi nous ramener à la conscience de nos toutes petites tailles moléculaires…
Qui nous dit que, demain, ce n’est pas à nous que l’on demandera de justifier de nos lignées génétiques pour accéder à je ne sais quelle situation soi-disant privilégiée ?
Un peu de modestie, beaucoup d’humanité et hauts les cœurs, la lutte n’est pas perdue puisqu’au fin fond d’un arrondissement de la ville lumières la révolte gronde !

PrincessK

Marie a dit…

Ne pas feindre de voir, denoncer pour alerter, pousser a reflechir, reunir.. deja les mots.
Quelle forme doit prendre une action citoyenne, efficace, c'est une bonne question. Marie

Anonyme a dit…
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