lundi 3 mai 2010

Journée internationale de la liberté de la presse : rien ne va plus… Trois exemples pour le prouver

Depuis le fond de leur lieu de détention en Afghanistan où ils croupissent depuis maintenant 125 jours, Stéphane Taponier (46 ans) et Hervé Ghesquière (47 ans), les deux journalistes de France 3 (en photo) enlevés par les talibans, auront le «plaisir» d’apprendre que ce lundi 3 mai n’est autre que la journée internationale consacrée à la liberté de la presse. Une liberté qu’ils payent au prix fort, loin de leurs proches et réduits au silence, avec la menace d’une exécution dans quelques jours si le gouvernement français ne répond pas à l'ultimatum des combattants.
Il y a trois semaines, les ravisseurs se sont en effet montrés très clairs sur le sort qu’ils entendaient réserver aux deux hommes. Dans une vidéo envoyée par le biais du site islamiste «Alemarah» à plusieurs médias occidentaux Hervé Ghesquière apparaît barbu et amaigri. Le journaliste est contraint de lire un message en anglais dans lequel les ravisseurs demandent au président Sarkozy de négocier rapidement avec Kaboul et Washington afin d’obtenir la libération de talibans emprisonnés. Si tel n’est pas le cas, préviennent-ils, les otages seront exécutés. Tous deux s’expriment ensuite à tour de rôle, d’une voix calme et en français. Voici le texte de ces deux interventions.
Stéphane Taponier : "On vient de nous signifier, à moi, à Hervé et à Reza (ndlr : leur guide), que ce sera notre dernière vidéo. En effet, un ultimatum vient de nous être donné. Si le gouvernement français n’accepte pas les revendications des talibans, nous seront exécutés sous peu. Je demande donc au président français et à ma chaîne de télévision de tout faire pour accepter leurs exigences sous peine de mort et dans un délai très court."
Hervé Ghesquière : "Cela fait maintenant trois mois que nous sommes otages et les talibans me demandent de vous envoyer ce message. Ce sera le dernier message. Si toutefois leurs exigences ne seraient pas satisfaites nous serons exécutés.
Donc, ils demandent à ce que toutes leurs exigences soient satisfaites, ce qui n’a pas été le cas selon eux lorsqu’ils vous ont donné leurs exigences. Deuxièmement, les précédentes interviews n’ont pas été diffusées sur les chaînes françaises paraît-il, sur ordre du gouvernement français. Maintenant, les talibans demandent, exigent que cette interview soit diffusée sur les chaînes françaises.
Enfin, je demande au président de la République, au gouvernement français, à ma chaîne de télévision, au groupe France 3, au groupe France Télévision, de vraiment prêter attention à ce message. Nous sommes désormais en danger de mort. Les talibans viennent de nous le dire. C’est la dernière fois que nous parlons dans une vidéo. Je le répète : si toutes les exigences des talibans ne sont pas exhaussées, hé bien nous serons exécutés.
Voilà. C’est le message, le dernier message qu’ils veulent faire passer au gouvernement français. Parce qu’ils affirment que toutes les négociations ont échoué depuis trois mois et que, je le répète, nous sommes désormais en danger de mort."

Aucune date butoir n’est toutefois fixée.
Hervé Ghesquière est originaire de Marcq-en-Baroeul, près de Lille. S’il avait quitté la région pour sa carrière de grand reporter à France 3, il a aussi formé des professionnels du reportage audiovisuel à l’université de Valenciennes (licence professionnelle Joris – Journalistes reporters d’images et de sons). Avec Stéphane Taponier, il travaillait pour le magazine «Pièces à conviction». C’est pour ce dernier qu’ils se trouvaient tous deux au nord-est de Kaboul lorsqu’ils ont été enlevés avec leurs trois collaborateurs afghans (un fixeur, un traducteur et un chauffeur). Les risques pris par cette équipe avaient ensuite été dénoncés par le gouvernement français, reprochant aux journalistes de s’être mis dans une situation qui allait coûter cher aux Français ( !).


Inquiétude également en Moldavie

Autre lieu, autre cas, celui du journaliste moldave Ernest Vardanean (en photo). Celui-ci a été arrêté à Tiraspol, mercredi 7 avril, par les services secrets transnistriens. L’homme est connu dans les Balkans pour son attitude critique vis-à-vis du leader indépendantiste Igor Smirnov. Ses écrits lui ont valu de nombreux problèmes par le passé, mais cette fois le gouvernement semble avoir décidé de le faire taire. Vardanean est ainsi accusé d’espionnage pour le compte des autorités de Chişinău (capitale de la Moldavie) et risque jusqu’à vingt années de prison !
Journaliste indépendant et analyste politique renommé, Vardanean est originaire de Tiraspol (capitale de la région indépendantiste). Dans la soirée du mercredi 7 avril, des agents des services secrets (MGB) ont pénétré chez lui et l’ont placé derrière les barreaux dans la foulée. Il est accusé de «haute trahison», sans plus de détails. Il est actuellement détenu dans les locaux de la Sécurité nationale et sa détention a été prolongée de deux mois lors d’un procès à huis clos.
Selon une télévision locale de Chişinău (capitale nationale), les autorités de Transnistrie invoquent l’article 272 de la constitution de la république autoproclamée en 1990. Elles accusent le journaliste d’espionnage au profit de la Moldavie.
L’organisation «Reporters sans frontières» s’est immédiatement mobilisée pour faire appel à la communauté internationale et dénoncer cette arrestation, ainsi que l’attitude de Tiraspol. RSF «redoute une condamnation arbitraire qui priverait le journaliste de liberté pour de nombreuses années, et ce, sans fondements ni transparence. Derrière l’arrestation d’Ernest Vardanean, semble se dessiner une campagne plus globale à l’encontre des journalistes de Transnistrie travaillant pour des médias moldaves ou exprimant des opinions critiques des autorités régionales.»
L’épouse du journaliste, Irina, a déclaré que l’ordinateur de son mari avait été saisi lors de son interpellation. Deux jours après l’arrestation, elle n’avait toujours eu aucune nouvelle de son mari et de ses conditions de détention. Avant l’intervention des services secrets, Vardanean travaillait pour l’agence d’information Novii Reghion, mais était depuis peu journaliste freelance. Il est bien connu parmi les journalistes moldaves pour son attitude critique vis-à-vis du leader transnistrien Igor Smirnov. Par ailleurs, il devait commencer à travailler pour un blog du service moldave de Radio Free Europe/Radio Liberty cette semaine.
Pour mémoire, la Transnistrie est pays… qui n’existe pas ! Suite à la chute de l’URSS en 1991, la Transnistrie, enclave russe entre la Moldavie et l’Ukraine voisine, avait autoproclamé son indépendance vis-à-vis de Chişinău. Soutenue par la Russie, la région indépendantiste a établi son gouvernement à Tiraspol et s’est dotée d’une constitution, d’un drapeau et d’une armée indépendante. Elle mène un communisme rigoureux, étouffant et oppressant. La région n’a pas d’existence internationale reconnue, aucune Nation n’ayant engagé de relation officielle avec cet Etat illégal. Depuis des années la Moldavie réclame le rattachement de cette région, mais les deux pays s’opposent sur cette question. Aucun observateur ne peut, en outre, pénétrer en Transnistrie, le permis de séjour n’étant accordés que pour une durée de dix heures et seulement si la personne extérieure au pays est «invitée» par un habitant qui en a fait la demande au gouvernement !
Ernest Vardanean est donc prisonnier derrière un véritable rideau de fer où nul ne sait dans quelles conditions il est retenu et quel est le traitement qui lui est infligé...

Ces exemples sur les conditions d'exercice du journalisme dans le monde sont loin d’être isolés. En France, la situation n’est d’ailleurs pas idéale, puisque le pays se place au 42e rang en matière de liberté de la presse, selon le classement publié par «Reporters sans frontières».