vendredi 9 novembre 2007

Cachez ce Mur (Berlin)


La nuit était tombée sur Berlin-Est. Des milliers de curieux se pressaient en ordre groupé. Tous marchaient dans la même direction. Ils avaient entendu la nouvelle à la radio ou au journal télévisé du soir, et voulaient être les premiers. Les premiers à voir. Attendant impatiemment l’ouverture, ils s’agglutinaient autour de la grande porte.
Pas la Porte de Brandebourg, symbole de la frontière entre l’Est et l’Ouest de Berlin jusqu’à 1989, mais celle du nouveau centre commercial Alexa, nouveau temple de la consommation sur l’Alexanderplatz, au beau milieu des symboles de l’ex-RDA. Pour son inauguration, le 12 septembre dernier, les publicitaires avaient osé le slogan : « La plus grande ouverture depuis la chute du Mur ». Les Berlinois les ont pris au mot.
A minuit, lorsque les vigiles ont déverrouillé les entrées, le mouvement de foule a été tel que certains escalators ont cédé sous le poids, des vitrines ont explosé au moment où les clients se poussaient pour attraper les promos « spécial ouverture », une dizaine a été blessée dans la panique et a dû être évacuée en urgence. Les affiches évoquaient l’euphorie de la chute du Mur. A Berlin, surtout à l’Est, on ne badine pas avec les symboles.
Dix-huit ans, pile poil, après sa disparition subite, le 9 novembre 1989, la frontière de béton reste un sujet sensible. Les Ossis —c’est ainsi qu’on continue d’appeler les habitants d’ex-Allemagne de l’Est— sont échauffés par les tentatives de faire disparaître les indices du régime communiste. Exit le Palais de la République, qui ne ressemble déjà plus qu’à un squelette métallique en face de la cathédrale de Berlin. Adieu la gare centrale à l’Est et bonjour la gare centrale de Berlin, pyramide de verre construite dans le No man’s land du Mur. Un pan du Mur orné d’œuvres réalisées par les artistes du monde entier, au niveau de la célèbre East Side Gallery, a même été supprimé pour dégager la vue sur l’eau depuis la salle de spectacle géante « O2World », qui se construit tout à côté.
Un par un, les symboles disparaissent. Et les Berlinois de l’Est commencent sérieusement à s’en agacer, en même temps qu’ils regrettent de plus en plus le « bon vieux temps du communisme ». Le temps où ils avaient tous un travail, un logis, de quoi vivre et s’alimenter. Sans en faire l’apologie, le maire de Berlin conçoit dans son autobiographie (parue en septembre) que, dès lors qu’on n’était pas engagé en politique, on pouvait mener une vie très agréable en Allemagne de l’Est. A l’ère du chômage et de la précarité, les Ossis perçoivent difficilement les progrès permis par la chute du Mur. Là où on leur parle de démocratie, ils se souviennent invariablement d’une annexion de leur pays (on dit « Anschluss » en allemand, avec toute la violence que ce mot implique, souvenirs de cours d’histoire à l’école française).
Paradoxalement, au fur et à mesure que l’Allemagne s’emploie à effacer les cicatrices du Mur, les touristes débarquent toujours dans l’idée de les observer. Ce Mur mythique. Et comme il devient parfois invisible, les visiteurs voient un autre Berlin. Une ville en construction, où l’effervescence culturelle et artistique cache des douleurs plus profondes. Où le chantier perpétuel est un terreau d’imagination.

9 commentaires:

Chronik a dit…

Ah, mon wessi préféré! Dis-moi pas que je ne verrai pas un gravas de mur quand je viendrai squatter ton salon?!!

PrincessK a dit…

Point de vue tout à fait partagé lors d'un bref séjour à Berlin en juin dernier.
Si le cœur et la plume t'en disent, je trouve que la démolition du Palais de la République dans la perspective d’une reconstruction à l’identique du Château de Berlin qui occupait jusqu’en 1950 le même espace public « Unter den linden » en dit également assez long sur les aléas de mémoire actuellement rencontrés dans cette ville, au demeurant merveilleuse, et mériterait bien une petite bafouille.
Voir aussi, mais tu connais certainement, "Souvenirs de Berlin-Est" par Sophie Calle, qui illustre de façon poétique les mêmes aléas mais dans un autre contexte, celui de la chute du mur.
Où il apparaît que raser les immeubles contribue mais ne suffit pas à réécrire l’histoire, heureusement.

Chronik a dit…

Pour compenser les destructions, le gouvernement devrait rendre obligatoire le port des pattes d'eff, des chemises pelle à tarte, et le fait de rouler en Lada. Ou à bicyclette. Après tout...

PrincessK a dit…

;o))))
mais c'est déjà un peu comme ça !

Pierre Girard a dit…

Oui, c'est déjà un peu comme ça. Car si tu ne verras que peu (mais quand même un peu) du Mur lors de ton passage à Berlin, tu auras la chance d'apprécier la singularité des styles vestimentaires berlinois.
Beaucoup d'artistes ont travaillé de très belle manière sur Berlin, ses lieux et ses mémoires. La galerie d'un ami, Air Garten, a d'ailleurs consacré une expo à ce sujet récemment, sur le mythe de Berlin (Adresse : Waldemarstrasse 42, pour les Berlinois qui passeraient par là...).
PS : "Chronik", si tu me fais l'honneur d'une visite, tu auras même le droit à la chambre d'amis. Tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser dormir sur mon sofa!? :)

Chronik a dit…

Me voilà rassuré. Le trentenaire précieux et célibataire que je suis aime à jouir de son petit confort. Mais, et la vue? C'est important, la vue? Une usine de Schnaps?

Chronik a dit…

Navré pour ce manque d'originalité, sans aucun doute dû à ma méconnaissance de l'Allemagne en général et de Berlin en particulier, mais je ne peux m'empêcher en lisant ton texte de songer au film Goodbye Lénine. Bon, à part ça il y a Spy Game, mais dans ce cas c'est surtout la Stasi qui me vient à l'esprit, alors...

PrincessK a dit…

Goodbye Lenine colle parfaitement.
Mais si l'on veut rever un peu, il y a aussi Les ailes du desir...

Anonyme a dit…

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