lundi 8 octobre 2007

Armstrong, je ne suis pas noire... (Kinshasa)


J'ai posé le pied sur le sol de l'ex-Zaire de Mobutu il y a maintenant 2 jours.
La République démocratique du Congo sera ma terre d'asile pour quelques mois.
Ceux qui ont eu cette chance savent que l'intronisation dans un nouveau pays induit toujours certaines remises à plat de clichés réducteurs mais s'avère également être synonyme de joyeuses découvertes.
A défaut d'avoir su créer mon propre blog à mon arrivée au Yemen il y a 2 ans (qui a pouffé ?), j'accepte donc la proposition de mon cher camarade de promo rennais de 1998 et me jette à l'eau. Vous serez les témoins du grand saut que je m'apprête à exécuter dans cette nouvelle jungle urbaine.
Si plongeon il y a.
Car je suis, pour le coup, arrêtée tout net sur le haut du plongeoir. Non pas que la température soit fraîche, attention. Suis bretonne après tout. Mais il semblerait qu'un filet de sécurité ait été subrepticement placé entre ma petite personne et la réalité kinoise. Je m'explique : des gens bien intentionnés m'avaient prévenue avant mon départ que la RDC n'était pas la panacée de la liberté pour une "mendele" comme moi. "Là-bas, une partie du pays est en guerre et les règles de sécurité sont strictes". Soit. Mais je partais confiante dans l'idée que, ayant survécu pendant deux ans à un statut plus qu'original de "troisième sexe" dans un pays musulman magnifique mais pas très fun, j'allais enfin pouvoir m'éclater parmi les Africains. Que nenni. Dès mon arrivée, une vérité s'est imposée à moi : je ne suis pas noire et je ne pourrai jamais faire semblant de l'être.
Dans l'attente d'une nouvelle prise de fonctions professionnelles, je décide de profiter de ces quelques derniers jours de liberté pour flâner dans la capitale. Non sans avoir été chaleureusement invitée à louer une voiture avec chauffeur. Ah bon, mais pourquoi ?
Enfermée à double tour dans une merkos défoncée conduite par Jean-Michel, Africain pure souche, je sillonne les rues de Kin-la-Belle -aujourd'hui surnommée Kin-la-Poubelle par ses habitants- afin d' y découvrir son âme. Ou y flairer son ambiance, pour les plus pragmatiques (vous me direz qu'il est difficile de flairer quoi que ce soit portes et fenêtres fermées et vous n'aurez pas tort). Ben oui, "l'utilisation de taxis et de bus ainsi que la marche à pied, seule, de jour comme de nuit sont fortement déconseillées" dixit tous les européens croisés ici. De telles conduites conduiraient à ma perte et je risque l'agression et le vol (le plus souvent par des faux policiers, c'est un comble). Soit.
Guide exemplaire puisque kinois d'origine , Jean-Michel m'offre donc du "Madame" à tout bout de phrase, révérences et courbettes comprises, malgré ma proposition de m'appeler tout simplement par mon prénom. Des gamins en guenilles, des femmes avec enfants et des anciens estropiés me demandent plus de 30 fois par jour un billet pour manger. Je refuse. On me regarde alors d'un oeil mauvais. Je n'ai que 28 ans, un compte en banque proche de la banqueroute et je ne suis qu'une blanche radine qui garde tous ses gros sous pour elle. Voila ce que je lis dans les regards sombres que je croise. (Vous me direz, ca change du regard salace des Yémenites qui ne voyaient dans ma couleur de peau que la légèreté de mes mœurs d'européenne).
Avec du recul, le peu de contact que j'ai finalement noué avec les kinois ces derniers jours sera resté très superficiel et d'un déséquilibre flagrant. Je dois me faire à l'idée que, pour 90 pour 100 des habitants de cette ville, je ne suis qu'une bourse sur pattes. Un porte-monnaie géant, j'entends. La "patronne", quoi.
Le passé de ce pays y est pour beaucoup évidemment. Baudoin et ses collaborateurs belges ont été remerciés il y a moins d'un demi-siècle et le pays n'est indépendant que depuis 1960. Les guerres à repétiton dans lesquels les ennemis sont multiples et changeants, l'absence criante de l'Etat et la pauvreté généralisée de ses habitants depuis quelques années n'arrangent rien. Ni les innombrables ONG européennes présentes dans le pays. Ou encore l'existence du quartier le plus huppé de Kinshasa, celui de la Gombé dans lequel les Européens sont tous parqués dans de superbes villas dont les loyers, indécents, frôlent la brique de dollars, à quelques kilomètres des bidonvilles. Une étrange promenade y longe le mythique fleuve Congo ; ici, point d'embouteillages et de bruits de klaxons. Bien gardés par des militaires dans un cadre idyllique, seuls les blancs en short, qui marchent, courent ou roulent à vélo ont le droit de profiter de la vue sur Brazzaville.
De quel coté de la barrière me trouve-je ? Celui des bourreaux ou celui des victimes ? Pas de réponse qui se tienne.
Je suis blanche dans un pays ou les gens sont noirs. C'est donc noté, enregistré, d'un coté comme de l'autre.
Malgré tout, rien n'est figé. Tout peut encore arriver.


7 commentaires:

Chronik a dit…

Tout ne peut pas être aussi noir, et je suis persuadé que tu va réussir à t'immiscer dans la vie de la cité afin d'y découvrir quelques charmes inattendus. D'ailleurs, il y a fort à parier que ces derniers ne se trouvent pas en ville, mais en dehors... Merci pour ce premier "jet".

Chronik a dit…

"Tu vaS", évidemment...

Matharabat a dit…

Bien sur, tout n'est pas si noir...Je viens de réaliser deux choses à la relecture de ce texte :
1/ Je donne l'impression d'être à deux doigts du rapatriement sanitaire pour cause de "syndrome de Paris"(depression des japonais en vacances à Paris) version africaine...Alors que tout va pourtant très bien, je pète la forme, si-si.
2/Il est loin le temps ou je devais pondre une pige par jour pour le canard local. Une plume en berne trop longtemps peine à retourver l'aisance
3/J'en veux pour preuve ces dernières lignes : pour un commentaire par définition condensé, je ponds 50 lignes.. Ma tristeo !

Chronik a dit…

Mais c'est très bien, tu vas retrouver ta plume! Tout ira mieux quand tu commenceras à travailler (ça c'est un comble...).
Ne sachant si tu pourrais le faire, je me suis permis d'ajouter une photo trouvée sur un site consacré à la RDC. Si tu as mieux, n'hésite pas...

Sebas a dit…

Welcome to Africa.
Bientot tu decouvriras le A-Factor, qu'en Egypte on a rebaptise le E-Factor.
L'Egypte est toutefois plus sympa que ce que tu decris.

Anonyme a dit…

Cool Mathoche, (au fait, la qualité de ta plume me semble s'améliorer d'année en année; c'est un bonheur à lire...)

Ya pas, vous êtes motivés. Pas de panique, des relations directes et profondes ne peuvent pas se créer en quelques jours. Tu verras la différence dans quelques mois. Big bisous des montagnes.

Anonyme a dit…
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