vendredi 19 octobre 2007

Le parquet, une histoire de famille (Cambridge)


Il a pourtant ete bien consciencieusement, a l’anglaise, recouvert par une moquette chaude et epaisse, de bon gout cette fois. Mais il est bien la tout de meme. Et il titille, toujours autant, plus que mon oreille, surtout celle de mon voisin. Comme je n’allais pas tarder a l’apprendre, il n’y prete pas qu’une oreille agacee. Et comme toute histoire de parquet qui se respecte, mon voisin est un immigre lui aussi, biensur. Mais un immigre pas comme les autres.

Il est elance, le teint mate, toujours rase de pret, porte le costume et la cravate. Mon voisin est banquier, il travaille a « La City ». Il entend regulierement mon parquet. Il pensait que ces grincements provenaient d’un lit, et m’avouait me trouver bien chanceuse, ose-t-il me dire. Une remarque bien graveleuse qui denote de sa tenue irreprochable, son style si soigne, son language chatie. Cette fois, il se presente a ma porte, dans un survetement decontracte, sa tenue « casual », il n’a neanmoins pas oublie une legere note d’un parfum agreable. Rompant la tradition britannique qui respecte les distances aux heures non alcolisees, il m’embrasse. Il fait particulierement froid en ce moment, un froid sec qui accompagne la journee un grand soleil lumineux. Car contrairement a toutes les recommandations ironiques de mes amis avant mon depart, m’armant d’un parapluie, d’un vetement de pluie en plus d’une bouteille de gin pour mon insertion douce dans la vie anglaise, le climat du Cambridgeshire est plutot sec et ensoleille. Les lunettes de soleil y sont meme frequemment de rigueur chez les Anglais, parfois meme sous la pluie, comme les bras nus malgre des temperatures propices au gel. Enfin, c’est une toute autre histoire. Revenons-en a mon voisin. Il me regarde penaud, simule un grelottement et le voila installe dans mon salon. Je ne m’attendais decidement pas a cette incursion, m’interroge sur le sens de cette visite mais il est trop tard. « Ma foi, c’est l’occasion de mieux connaitre le representant d’un milieu qui m’est plutot inconnu et pour lequel je pourrais avoir de mauvais a-priori », me dis-je alors. Il est toujours bon de lutter contre ces tendances toutefois naturelles et instinctives. Je me mets donc en tete de l’ecouter, car mon voisin est plutot peu timide et bavard. Il est aussi decidement un battant, un gagnant. Outre son equipe de football dont il glisse etre la star, il aime travailler sous pression, resoudre ces multiples defis quotidiens qui lui incombent et remporter ainsi toujours plus de victoires. Il vient aussi d’obtenir une promotion. Son visage se transforme, je le sens revivre et savourer ces instants de reussite. Je pense que decidement j’ai face a moi une caricature. Il parle avec une certaine fierte, pense certainement fasciner. Et je m’apercois que l’espace d’un instant, il me fait peur, son visage me semble devenir machiavelique. Je m’etonne moi-meme de ce sentiment qui m’accapare, le souvenir de son parfum assez discret me revient. Puis je comprends. Mais biensur, il me rappelle ce heros du roman de Bret Easton Ellis, ce golden boy de Manhattan qui se transforme en un assassin sans merci des la nuit venue. J’evacue ces images terribles suite auxquelles j’avais abandonne la lecture de ce livre qui me devenait insoutenable. Je retrouve mes esprits.

On en vient a parler de son expatriation. Oui car mon voisin est Colombien, il possede aussi la nationalite espagnole. Mais il a quitte ce deuxieme pays, dans lequel il a vecu de nombreuses annees, ou il se sent pourtant plus etranger qu’en territoire anglais. Un accent trop reconnaissable, qui lui rappelle sans cesse l’equivalent du statut accorde ici aux Indo-Pakistanais ou aux Polonais, qu’on lui attribue la-bas en terre espagnole. Un accueil pas tres chaleureux si je comprends bien. Il en est tout autrement ici, a Cambridge. Les immigres ne portent pas le turban, mais la cravate. On prefere l’exotisme latino-americain a l’oriental. Je pense alors a ces nombreux Anglais qui eux aussi s’expatrient, pour beaucoup vers la France. Un sentiment de crainte m’envahit. N’est-ce pas aujourd’hui que s'est deroulee cette rafle organisee en haut lieu ? Car c’est bien le mot de rafle qui a ete employe dans ce message laisse dans nos boites aux lettres, a faire froid dans le dos. Mes nouveaux compatriotes qui ont fuit ne remplissent pas les regles requises, ne parlent pas le francais le plus souvent, ne font pas necessairement preuve d’une volonte d’integration.
Non, je suis rassuree, ils ont des papiers mais surtout un pouvoir d’achat inegalable. Oserez-vous les appeler immigres d’ailleurs?

3 commentaires:

La Goutte a dit…

On dira bien entendu qu'il s'agit-là de collusion familiale, mais chouette texte. Bises.

Chronik a dit…

Les boiches et leur parquet, franchement. L'immigration en col blanc, c'est tout de suite plus présentable...

Anonyme a dit…
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