lundi 1 octobre 2007

L'Etat, ce grand illusionniste (Guyane)


Lorsque la Guyane apparaît dans les médias, ce n'est que trop souvent pour mettre en avant l'une des multiples difficultés qui perturbent le quotidien de ses habitants. Qu'ils soient liés à la criminalité, l'environnement, l'immigration (pour peu qu'il s'agisse là d'un réel problème pour un département qui s'est forgé une identité grâce à ses innombrables migrants, donc il serait plus juste d'employer le terme de clandestinité, qui dès lors véhicule nettement plus d'aspects négatifs), les éléments parasitaires sont légion. Mais ces maux sont connus de tous. Pour la simple et bonne raison qu'ils existent et perdurent depuis des dizaines d'années. Alors, quand Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du co-développement débarque, comme tant d'autres avant lui et son actuel président en tête, les Guyanais n'ont même plus la force d'esquisser un sourire narquois. Des promesses, encore. Des idées, des projets, encore. Une volonté farouche d'apporter des changements, encore... Comme Nicolas Sarkozy en 2006, le ministre semble découvrir la situation. Visage fermé, il écoute le procureur de la République, les gendarmes, les douaniers, les policiers. La population? Pas le temps, sa visite dure moins de 48 heures. Il effleure la surface d'un regard froid, visiblement impatient de regagner au plus vite ses bureaux parisiens. Malheureusement pour lui, et c'est rare quand un représentant du gouvernement effectue un passage en Guyane, son séjour ne coïncide pas avec un lancement d'Ariane 5... Par conséquent, il ne prête qu'une attention toute relative aux trafics interlopes de denrées alimentaires importées par je-ne-sais-quel-biais malicieux sur les marchés de Guyane, et s'aveugle prodigieusement lors d'une énième inspection furtive. Sorte de "clou du spectacle", celle-ci se déroule dans les environs de Grand-Santi, l'une des quatre principales communes (parmi les nombreux villages "écarts") qui bordent le Maroni (fleuve situé à l'Ouest, qui sépare la Guyane du Surinam). Objet : descente sur un site d'orpaillage clandestin que gendarmes et militaires viennent de "nettoyer". Saisies : un peu de matériel, un peu de nourriture, un peu d'or, et 28 personnes interpellées. Pour la plupart des Garimperos, ces chercheurs d'or brésiliens miséreux qui, exploités jusqu'à l'os, se tuent à la tâche dans l'espoir de découvrir quelques pépites à boire ou à envoyer à leur famille. Quelques femmes, aussi. Des "cuisinières", dont la présence ne se limite pas exactement à mitonner des petits plats. Le ministre se félicite de la prise, les autorités également. Question à l'un des clandestins arrêtés : "Combien étiez-vous ici il y a trois jours?" Réponse, dans un demi-sourire : "Bah, environ 500." En réalité, les 28 ne sont là que parce qu'ils l'ont décidé. D'ailleurs, menottes aux poignets, ils portent leurs valises. En décembre, les gendarmes savent qu'ils feront des prises bien meilleures. L'année dernière, j'écoutais médusé un orpailleur me décrire le processus. "En fin d'année, beaucoup de clandestins veulent rentrer chez eux, mais ils n'ont pas un sou pour voyager, glissa-t-il. Alors ils se laissent arrêter, et la France les renvoie au pays." Deux mois plus tard, le temps nécessaire pour traverser la forêt par tous les moyens possibles, ils sont de retour pour creuser, creuser, creuser. Mais, entre temps, les statistiques de reconduites à la frontière ont apporté satisfaction dans les ministères. Avec plus d'un tiers de la population ne disposant pas de la nationalité française, rien de plus simple. Il suffit d'en prendre dix, de les mettre dans une pirogue et de leur faire traverser le fleuve. Le Maroni à l'Ouest (vers le Surinam), ou l'Oyapock à l'Est (frontière brésilienne), et le tour est joué. Une heure plus tard, les expulsés retrouvent leur famille coté français, Hortefeux le sourire, et Sarkozy de beaux chiffres à servir chaud à la grande presse parisienne. Rien dans les mains, rien dans les poches...

5 commentaires:

La Goutte a dit…

Ca y est, ça marche, et j'ai même réussi à m'associer à l'entreprise... Sinon, je suis un peu surpris de constater que nos gouvernants se contentent d'effets d'annonces, et ne s'attaquent pas aux problèmes à la racine. Sniff sniff.

Anonyme a dit…
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PrincessK a dit…

Que de désillusions, effectivement...
Au fait, salut Thomas !
Ravie de te lire ;o)

Marie a dit…

Ton message me fait penser a un temoignage d'un habitant des Comores, identique. Mais rassurons-nous, les chiffres d'expulsion devraient presentement monter aussi en metropole.. Marie

Marie a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.