jeudi 8 novembre 2007

La République du fleuve (Guyane)

Saint-Laurent du Maroni abrite deux villages peuplés, dans leur grande majorité, par des Amérindiens. Ils portent les noms de Paddock (prolongé de Paradis) et Balaté. Des lieux relativement paisibles, qui font figure de havre de paix. A tout le moins était-ce le cas jusqu'en juin dernier à Balaté. Depuis, la communauté Arawak (ou Lokono) qui peuple le village se déchire dans une guerre des chefs. Un conflit qui éclate au sein même des familles. Au point de voir, le 13 octobre dernier, une réunion de conciliation entre les deux parties tourner à la bagarre rangée. Sous le regard désespéré et impuissant des représentants de la Foag (Fédération des organisations autochtones de Guyane), dont la force de médiation n'a guère été efficace en cette occasion. Les deux camps sont ceux de l'actuel chef coutumier (ou capitaine), Brigitte Wyngaarde, et de Sylvio Van der Pijl, qui se réclame du titre. Une banale querelle de pouvoir, me direz-vous? Pas exactement.
Il n'existe pas trente-six façons de devenir chef coutumier, mais deux. Soit le capitaine en place meurt, soit il abandonne ses responsabilités. Le conseil des sages, qui rassemble les autorités coutumières, est alors consulté, et un vote (généralement à mains levées) désigne le successeur. Dans le cas présent, l'encéphalogramme de l'actuel(le) chef coutumier se révèle des plus sautillants. Et elle n'exprime aucune intention de quitter son siège. Alors comment un prétendant a pu s'immiscer dans cette histoire? Très simple. Grâce à ses appuis "gouvernementaux"...

UN DÉPUTÉ AU TAPIS
Pour mieux comprendre la situation, et en saisir les enjeux, il est indispensable d'effectuer un voyage dans le passé. Oh, pas très loin. En juin dernier. A l'époque, la bataille législative fait rage dans l'Ouest guyanais. Léon Bertrand, député-maire UMP de Saint-Laurent, président de la communauté de communes et secrétaire d'Etat au Tourisme, brigue un nouveau mandat. En face, l'une de ses plus féroces adversaires n'est autre que la candidate des Verts... Brigitte Wyngaarde (le chef coutumier de Balaté, donc).
Elle ne passe pas le premier tour, mais apporte son soutien à la représentante de la gauche pour le second. Normal. Mais, à la surprise générale, celle-ci éjecte Léon Bertrand de son trône parlementaire. Jubilation, malaise...

Deux jours plus tard, un quasi-inconnu au bataillon affirme qu'il détient une pétition regroupant 200 signatures, et il réclame le départ du capitaine. Il s'agite, perturbe des réunions, invective l'ex-candidate des Verts et déclare que sa gestion du village est aussi partiale que déplorable.
Face à la vindicte de son opposant, Brigitte Wyngaarde propose d'organiser des élections en avril 2008, et ainsi de laisser le soin à la population du village de désigner son nouveau chef coutumier. Refus catégorique de Sylvio Van der Pijl. Etrangement, l'affaire se tasse. Jusqu'au 14 août, date à laquelle elle prend une nouvelle tournure.

LE PUTSCH DU 14 AOÛT
Au matin, la tenue d'un scrutin est annoncée. Allons bon! Au beau milieu des vacances et en l'absence du capitaine, alors dans l'Hexagone. Etrange procédé, que les observateurs n'hésitent pas à qualifier de putsch. Mieux, l'élection a lieu dans l'enceinte de l'école maternelle de Balaté. Le maire a gentiment ouvert les grilles, et prêté les urnes municipales. Seules deux candidatures sont acceptées. Celles de Van der Pijl, évidemment, et celle d'un prétendant fantoche. Résultat : un raz-de-marée en faveur du putschiste.
Dans les jours et les semaines qui suivent, Léon Bertrand adoube son poulain. Il écrit au Conseil général pour que le Département reconnaisse Sylvio comme nouveau chef coutumier et, plus fort, il affrète des bus aux frais de la mairie pour véhiculer une centaine de partisans de Van der Pijl à Cayenne. Objectif : qu'ils manifestent et réclament une audience auprès du président du Département. L'opération se répète deux fois. Au final, rien. En effet, le Conseil général réaffirme la légitimité de Wyngaarde. Depuis, silence radio en mairie, et du côté de Van der Pijl.

Précision : la liste des personnes ayant pris part au vote du 14 août est soigneusement gardée secrète. Et pour cause, puisqu'il s'avère que les votants sont venus de villages extérieurs, et même d'Albina, la ville qui se situe sur la rive surinamaise, en face de Saint-Laurent (Confirmation du maire en personne...).
Par ailleurs, un autre contentieux opposant Wyngaarde et Bertrand se trouve sans aucun doute à l'origine du putsch. En effet, le maire a pour projet de construire un hôtel-casino de luxe à Saint-Laurent. Sur le territoire de... Balaté. Wyngaarde y est fermement opposée. Pas Van der Pijl, bien entendu. Le lien se crée de lui-même, inutile d'en rajouter.

Alors, un ancien ministre et député de la République qui aide à l'organisation d'une élection bidon, qui dans la foulée appuie les putschistes, le tout dans le but de déblayer le terrain - au propre comme au figuré - c'est aussi ça la Guyane.
Drôle de République...

3 commentaires:

La Goutte a dit…

Excellent article Chronik. Bizarre que ces choses, si illustratives de pratiques au bon relent paternaliste et néo-coloniale, ne soient jamais reprises dans "nos médias nationaux". C'est moins bandant que les balades en pirogue de Cécilia et Nicolas... Tu devrais le balancer au Monde diplo ou à un canard comme ça.

Chronik a dit…

Déjà fait. "Tout le monde s'en fout", écrivait Albert Londres à propos de la Guyane. C'est toujours vrai...

Chronik a dit…

Drôle de status quo, puisque la voiture du chef dissident a flambé à la suite d'un jet de cocktail molotof. Version officieuse, puisqu'il n'en existe pas d'officielle...

Par ailleurs, l'autre village (Paddock/Paradis) est habité dans sa grande majorité par des Kali'na.