vendredi 1 octobre 2010

Expulsion coutumière en tribu kanak




Les gamins courent au milieu des petites tentes fournies par la province. A Mouirange, le système D dure depuis quinze jours. Le temps semble s’être un peu arrêté. Assis sous un abri de tôle bricolé après l’expulsion, Rock Wede porte régulièrement ses yeux dans le vague. Le patriarche raconte comment le conflit sur la désignation du nouveau chef de la tribu d'Unia a dégénéré jusqu’à une fusillade impliquant son fils. Un détonateur qui a ouvert une période de rare violence à la tribu, coupée en deux camps. Rock Wede a beau égrener les vieilles querelles de personnes, les différends fonciers, il peine à comprendre comment la situation a pu aboutir, le 14 juillet, à l’exclusion “ coutumière “ de son clan, treize familles pour soixante-dix personnes. Une décision unilatérale, signée d’un chef qu’il ne reconnaît pas. « On s’interroge. Je ne sais pas s’il y a quelque chose en dessous... Ils n’ont pas mesuré les conséquences. Comment, après soixante-dix ans de vie commune, peut-on tout d’un coup effacer l’histoire ? »

La présence du clan Wede à Unia remonte à 1940, avec l’arrivée de Jacques, le père de Rock, un homme de Lifou marié à une fille propriétaire d’Unia. « On a été installés coutumièrement et on a toujours soutenu la chefferie Tara. Nos terres ont été acquises par la reconnaissance de notre travail par les oncles maternels. La parole coutumière a été bafouée. Il n’y a aucune reconnaissance pour ce qu’on a fait là-bas... » Et de ruminer un sentiment d’injustice vis-à-vis de ses opposants à la tribu : « Normalement, il faut un consensus de tous les clans pour élire un chef coutumier. L’acte doit être signé par tous, il doit y avoir une intronisation... Là, c’est la dictature ! »
Alors, ce jeudi après-midi, quand la chargée de mission de la province vient annoncer aux familles que des propositions de relogement ont été trouvées dans le Grand Nouméa, le coeur de Rock Wede n’y est pas. « Oui, c’est bien... Mais notre vie est là-haut, on y est nés, on y a des villas, des cochons, des plantations... Là, on perd nos repères, on n’a jamais vécu dans des appartements ! » Il sait pourtant qu’un retour à Unia n’est pas envisageable : « Il y a trop de tensions, on a été insultés... On n’a pas le choix, sinon c’est la guérilla. Si les choses se tassent, peut-être qu’on reviendra, un week-end ou deux... Y revenir définitivement ? On verra, mais aujourd’hui on n’a plus envie. » Rock Wede est encore sous le choc. « Mes enfants sont mariés à des filles d’autres clans. Ils doivent tous partir. » A Unia, le conflit a opposé des beauxfrères, des cousins, déchiré des familles entières. « Des couples se sont séparés. Cette histoire est allée beaucoup trop loin. »
Les gamins retourneront chacun dans une nouvelle école lundi. Ils ont beau jouer au milieu des tentes, cette histoire les a marqués. « Ils ont vu des choses. Mon petit-fils de trois ans parle de sa maison brûlée », témoigne Jacques Newedou, dont le fils et le père ont vu leurs cases incendiées. Comme une centaine d’autres personnes présentes à Mouirange par solidarité envers les Wede, Jacques n’est pas concerné par l’expulsion. « On va y retourner, mais ce n’est pas vivable aujourd’hui. On va être montrés du doigt. Il y a des vols en ce moment là-haut. Tant que les gendarmes n’ont pas interpellé les trois meneurs... »
Difficile pour Rock Wede de parler d’avenir dans ces conditions. Sa tête est encore à Unia, aux « menaces envers les gens qui gardent nos maisons ». Et au retour d’une normalité qui n’existe plus. « On attend beaucoup de la décision de la justice sur cette histoire. » Les appartements ? « Oui, on va les accepter. On n’a pas le choix. Mais se retrouver seuls... On a fait une demande à la mairie et à l’aire pour avoir un terrain domanial où on pourrait tous se regrouper. On aimerait rester ensemble, sur un endroit communautaire. Comme avant. » A Mouirange, la solidarité permet d’apaiser les âmes, fières mais sonnées. Pour leurs démarches, les expulsés et leurs soutiens ont créé l’association « Mwa Be », qui signifie « maison des poissons », car « tout le monde se déplace en même temps ». Un nouveau bingo “frais d’avocat” aura lieu demain. Il faudra du temps pour écrire la suite et, qui sait, guérir les cicatrices tribales. Rock Wede le sait, presque fataliste : « On espère, il faut toujours avoir de l’espoir. C’est peut-être partir pour avoir une vie meilleure..."
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NB : Deux mois après la publication de cet article, la situation n'a pas changé. Les 70 expulsés et les 150 personnes solidaires de la tribu (plus du quart de la population de la tribu) sont toujours réfugiés à Mouirange, de l'autre côté de la chaîne montagneuse calédonienne. Certains d'entre eux ont réglé leurs comptes à Nouméa en y croisant des gens restés à la tribu, et en échange, de nouvelles cases leur appartenant ont été incendiées à Unia. L'Etat a initié une mission de médiation indépendante pour trouver une issue au conflit.

Dans cette affaire, l'Etat très prudent s'est contenté d'une timide mission de maintien de l'ordre, davantage en temps réel qu'en prévention. L'Etat, comme les collectivités locales, n'a absolument rien dit concernant l'expulsion, s'estimant incompétent. Car le foncier coutumier, domaine ultra-sensible, obéit à des règles propres, ni écrites ni codifiées, et différentes de celles du droit commun. Loin de la conception occidentale de la propriété et de la liberté individuelle, les terres tribales sont la propriété collective des clans coutumiers et leur jouissance est régie par un système complexe de liens ancestraux entre eux. Sauf que l'interprétation de ces liens, à Unia comme en d'autres lieux, ne fait pas toujours l'unanimité, et peut-être de moins en moins. Ce qui interroge dans ce cas, c'est que le chef, visiblement, jouit jusqu'au droit de police et d'expulsion. Et que rien n'est prévu pour gérer de tels drames humains, excepté une éventuelle recherche du consensus par le dialogue. La conception kanak du droit (= les liens entre clans) trouve peut-être ses limites ici, dans ce dérapage. En territoire républicain, où cohabitent deux conceptions du droit, cette affaire prend d'autant plus de relief et interroge.

lundi 3 mai 2010

Journée internationale de la liberté de la presse : rien ne va plus… Trois exemples pour le prouver

Depuis le fond de leur lieu de détention en Afghanistan où ils croupissent depuis maintenant 125 jours, Stéphane Taponier (46 ans) et Hervé Ghesquière (47 ans), les deux journalistes de France 3 (en photo) enlevés par les talibans, auront le «plaisir» d’apprendre que ce lundi 3 mai n’est autre que la journée internationale consacrée à la liberté de la presse. Une liberté qu’ils payent au prix fort, loin de leurs proches et réduits au silence, avec la menace d’une exécution dans quelques jours si le gouvernement français ne répond pas à l'ultimatum des combattants.
Il y a trois semaines, les ravisseurs se sont en effet montrés très clairs sur le sort qu’ils entendaient réserver aux deux hommes. Dans une vidéo envoyée par le biais du site islamiste «Alemarah» à plusieurs médias occidentaux Hervé Ghesquière apparaît barbu et amaigri. Le journaliste est contraint de lire un message en anglais dans lequel les ravisseurs demandent au président Sarkozy de négocier rapidement avec Kaboul et Washington afin d’obtenir la libération de talibans emprisonnés. Si tel n’est pas le cas, préviennent-ils, les otages seront exécutés. Tous deux s’expriment ensuite à tour de rôle, d’une voix calme et en français. Voici le texte de ces deux interventions.
Stéphane Taponier : "On vient de nous signifier, à moi, à Hervé et à Reza (ndlr : leur guide), que ce sera notre dernière vidéo. En effet, un ultimatum vient de nous être donné. Si le gouvernement français n’accepte pas les revendications des talibans, nous seront exécutés sous peu. Je demande donc au président français et à ma chaîne de télévision de tout faire pour accepter leurs exigences sous peine de mort et dans un délai très court."
Hervé Ghesquière : "Cela fait maintenant trois mois que nous sommes otages et les talibans me demandent de vous envoyer ce message. Ce sera le dernier message. Si toutefois leurs exigences ne seraient pas satisfaites nous serons exécutés.
Donc, ils demandent à ce que toutes leurs exigences soient satisfaites, ce qui n’a pas été le cas selon eux lorsqu’ils vous ont donné leurs exigences. Deuxièmement, les précédentes interviews n’ont pas été diffusées sur les chaînes françaises paraît-il, sur ordre du gouvernement français. Maintenant, les talibans demandent, exigent que cette interview soit diffusée sur les chaînes françaises.
Enfin, je demande au président de la République, au gouvernement français, à ma chaîne de télévision, au groupe France 3, au groupe France Télévision, de vraiment prêter attention à ce message. Nous sommes désormais en danger de mort. Les talibans viennent de nous le dire. C’est la dernière fois que nous parlons dans une vidéo. Je le répète : si toutes les exigences des talibans ne sont pas exhaussées, hé bien nous serons exécutés.
Voilà. C’est le message, le dernier message qu’ils veulent faire passer au gouvernement français. Parce qu’ils affirment que toutes les négociations ont échoué depuis trois mois et que, je le répète, nous sommes désormais en danger de mort."

Aucune date butoir n’est toutefois fixée.
Hervé Ghesquière est originaire de Marcq-en-Baroeul, près de Lille. S’il avait quitté la région pour sa carrière de grand reporter à France 3, il a aussi formé des professionnels du reportage audiovisuel à l’université de Valenciennes (licence professionnelle Joris – Journalistes reporters d’images et de sons). Avec Stéphane Taponier, il travaillait pour le magazine «Pièces à conviction». C’est pour ce dernier qu’ils se trouvaient tous deux au nord-est de Kaboul lorsqu’ils ont été enlevés avec leurs trois collaborateurs afghans (un fixeur, un traducteur et un chauffeur). Les risques pris par cette équipe avaient ensuite été dénoncés par le gouvernement français, reprochant aux journalistes de s’être mis dans une situation qui allait coûter cher aux Français ( !).


Inquiétude également en Moldavie

Autre lieu, autre cas, celui du journaliste moldave Ernest Vardanean (en photo). Celui-ci a été arrêté à Tiraspol, mercredi 7 avril, par les services secrets transnistriens. L’homme est connu dans les Balkans pour son attitude critique vis-à-vis du leader indépendantiste Igor Smirnov. Ses écrits lui ont valu de nombreux problèmes par le passé, mais cette fois le gouvernement semble avoir décidé de le faire taire. Vardanean est ainsi accusé d’espionnage pour le compte des autorités de Chişinău (capitale de la Moldavie) et risque jusqu’à vingt années de prison !
Journaliste indépendant et analyste politique renommé, Vardanean est originaire de Tiraspol (capitale de la région indépendantiste). Dans la soirée du mercredi 7 avril, des agents des services secrets (MGB) ont pénétré chez lui et l’ont placé derrière les barreaux dans la foulée. Il est accusé de «haute trahison», sans plus de détails. Il est actuellement détenu dans les locaux de la Sécurité nationale et sa détention a été prolongée de deux mois lors d’un procès à huis clos.
Selon une télévision locale de Chişinău (capitale nationale), les autorités de Transnistrie invoquent l’article 272 de la constitution de la république autoproclamée en 1990. Elles accusent le journaliste d’espionnage au profit de la Moldavie.
L’organisation «Reporters sans frontières» s’est immédiatement mobilisée pour faire appel à la communauté internationale et dénoncer cette arrestation, ainsi que l’attitude de Tiraspol. RSF «redoute une condamnation arbitraire qui priverait le journaliste de liberté pour de nombreuses années, et ce, sans fondements ni transparence. Derrière l’arrestation d’Ernest Vardanean, semble se dessiner une campagne plus globale à l’encontre des journalistes de Transnistrie travaillant pour des médias moldaves ou exprimant des opinions critiques des autorités régionales.»
L’épouse du journaliste, Irina, a déclaré que l’ordinateur de son mari avait été saisi lors de son interpellation. Deux jours après l’arrestation, elle n’avait toujours eu aucune nouvelle de son mari et de ses conditions de détention. Avant l’intervention des services secrets, Vardanean travaillait pour l’agence d’information Novii Reghion, mais était depuis peu journaliste freelance. Il est bien connu parmi les journalistes moldaves pour son attitude critique vis-à-vis du leader transnistrien Igor Smirnov. Par ailleurs, il devait commencer à travailler pour un blog du service moldave de Radio Free Europe/Radio Liberty cette semaine.
Pour mémoire, la Transnistrie est pays… qui n’existe pas ! Suite à la chute de l’URSS en 1991, la Transnistrie, enclave russe entre la Moldavie et l’Ukraine voisine, avait autoproclamé son indépendance vis-à-vis de Chişinău. Soutenue par la Russie, la région indépendantiste a établi son gouvernement à Tiraspol et s’est dotée d’une constitution, d’un drapeau et d’une armée indépendante. Elle mène un communisme rigoureux, étouffant et oppressant. La région n’a pas d’existence internationale reconnue, aucune Nation n’ayant engagé de relation officielle avec cet Etat illégal. Depuis des années la Moldavie réclame le rattachement de cette région, mais les deux pays s’opposent sur cette question. Aucun observateur ne peut, en outre, pénétrer en Transnistrie, le permis de séjour n’étant accordés que pour une durée de dix heures et seulement si la personne extérieure au pays est «invitée» par un habitant qui en a fait la demande au gouvernement !
Ernest Vardanean est donc prisonnier derrière un véritable rideau de fer où nul ne sait dans quelles conditions il est retenu et quel est le traitement qui lui est infligé...

Ces exemples sur les conditions d'exercice du journalisme dans le monde sont loin d’être isolés. En France, la situation n’est d’ailleurs pas idéale, puisque le pays se place au 42e rang en matière de liberté de la presse, selon le classement publié par «Reporters sans frontières».

vendredi 29 janvier 2010

Les journalistes jugés coupables de prendre des risques !


Les journalistes doivent-ils prendre tous les risques pour informer les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs ? Telle était la question posée par Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, lors de son intervention du 17 janvier dernier. Une déclaration surprenante et dénuée de bon sens, au moment même où deux journalistes de France 3, et leurs deux accompagnateurs, se trouvaient aux mains des talibans après être tombés dans une embuscade en Afghanistan.
Cette saillie du bras droit du président de la République, Nicolas Sarkozy, intervenait à la suite d’une question posée sur les ondes de la radio Europe 1, sur une éventuelle négociation en vue de la libération de cette équipe de télévision. L’intéressé avait ainsi déclaré que «le scoop ne devait pas être recherché à tout prix». Immédiatement, toute la profession se mobilisait pour dénoncer de tels propos et la polémique enflait rapidement, d’autant que quelques jours plus tôt l’Elysée avait fermement demandé à ce que cette histoire soit traitée en toute discrétion.
Au-delà de ce dérapage se trouve également les rapports difficiles entre la présidence de la République et France 3. Depuis plusieurs mois la chaîne est vidée de toutes substances par l’Elysée et ses équipes se trouvent réduites à une peau de chagrin, tout comme les moyens financiers. A terme, France 3 pourrait changer d’orientation et ne devenir qu’un joli emballage, voire une coquille vide. La polémique lancée par Claude Guéant intervient dans ce contexte d’attaques répétées contre la chaîne. Toutefois cette dernière trouve dans cet épisode l’occasion de donner du fil à retordre à Nicolas Sarkozy, tout en lui faisant la leçon sur la question du risque en journalisme.
Faut-il rechercher le scoop ou l’image choc ? Oui. Trois fois oui. Il ne s’agit pas là de voyeurisme ou de recherche d’images de la petite culotte de n’importe quelle starlette. Les enquêtes sur les conflits, les reportages photo ou télé sur les drames, les guerres, les atteintes à la dignité des personnes, ont donné à cette profession ses lettres de noblesse. Robert Capa, Gilles Caron, James Nachtwey, Patrick Chauvel pour les photographes, Carl Bernstein et Bob Woodward (affaire du Watergate), et bien d’autres ont démontré qu’il fallait prendre des risques pour amener l’information au lecteur et révéler la vérité, en dépit des pressions et des dangers. Certains l’ont même payé de leur vie. Les propos de Claude Guéant constituent par conséquent une insulte à cette mémoire de la presse.
Jeudi 28 janvier, près de 200 journalistes étaient donc réunis sur la place du Trocadéro (rebaptisée place des Droits des l’Homme depuis 1985), face à la Tour Eiffel, à l’appel de Reporters Sans Frontières (RSF) et de France 3 pour apporter un soutien à l’équipe retenue en Afghanistan et pour afficher son opposition au secrétaire général de l’Elysée. Aux côtés des anonymes, plusieurs visages connus sont venus se glisser : ceux de Jean-Jacques Bourdin, Audrey Pulvar, ou Laurent Bignolas. Tous ont martelé que, sans risque, le journalisme perdrait son utilité, voire sa raison d’être, avant de souligner que les personnes retenues par les talibans n’avaient rien de têtes brûlées, mais qu’elles étaient simplement tombées dans un traquenard. Dénonçant à mots couverts le «journalisme de salon» souhaité par la classe politique, les manifestants (journalistes français et étrangers, dont beaucoup venus de l'audiovisuel) ont renouvelé leur soutien à leurs confrères, devant une banderole clamant : «Nous sommes tous coupables d'imprudence».
Reprochant le fait que personne, dans la presse écrite, parlée ou télévisée, ne semble faire grand cas de cette équipe de France 3, à l’inverse de Florence Aubenas (journaliste de Libération) enlevée quatre ans plus tôt en Irak, ou des otages du Liban à la fin des années 80, Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF, s’est interrogé «combien de temps faudra-t-il encore pour donner un nom et un visage à ces deux journalistes ?». Audrey Pulvar a ajouté : «Nos confrères ne sont pas là depuis presque un mois. Nous sommes inquiets pour eux. Ils n’ont aucun tort. Ils ont fait leur boulot, comme ils l’ont toujours fait auparavant. Ce ne sont pas des inconscients et des imprudents.»
Pour mémoire, deux journalistes de France 3 ont été enlevés le 30 décembre 2009 alors qu'ils étaient en reportage près de Kaboul. Les talibans ont revendiqué l'enlèvement et exigé la libération d'un commandant islamiste détenu par les Etats-Unis et le versement d'une rançon en échange de leur libération. Trois semaines après leur rapt, Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, lançait sa phrase malheureuse, en précisant que les recherches entreprises pour les retrouver avaient un coût élevé pour les Français ( !)
Interrogé sur la chaîne de télévision LCI jeudi 28 janvier, le ministre de la Défense Hervé Morin, a indiqué qu'il n'y avait «malheureusement pas de négociations à l'heure actuelle» avec les ravisseurs de deux journalistes enlevés en Afghanistan le 30 décembre. Quatre jours plus tôt, sur TF1, le président Nicolas Sarkozy avait évoqué la situation «extrêmement difficile et extrêmement périlleuse» tout en précisant qu'ils étaient «en vie, en bonne santé». «Toute mon énergie et celle de nos soldats sont mobilisées pour les sortir de la situation où ils se trouvent», a jouté le chef de l'Etat en guise de mea culpa...

mardi 28 octobre 2008

Squat avec vue... sur la sous-préfecture

La vieille et grande demeure a sans nul doute été majestueuse. Construite face au fleuve Maroni, coincée entre la place des fêtes et la résidence du sous-préfet de Saint-Laurent, elle n'est plus désormais qu'une ruine. A l'époque du bagne, c'est entre ses murs qu'était logé le receveur des douanes. Aujourd'hui, la bâtisse délabrée abrite des résidents clandestins. Trois femmes et cinq enfants, dont deux nourrissons. Tous originaires du Guyana, dépourvus de permis de séjour et vivant dans la plus criante promiscuité. Ils ont investi les lieux voilà plus de huit mois.
Pénétrer dans l'enceinte de la résidence n'a rien de compliqué. Les grilles, profondément rongées par la rouille, sont grandes ouvertes. Et quand bien même quelqu'un aurait eu l'idée saugrenue de les refermer, les pans de murs écroulés sont si nombreux que la clôture s'avère quasi inexistante. En revanche, il est plus difficile de se frayer un chemin jusqu'à la maison à travers un jardin en friche recouvert de détritus en tout genre. Les grilles fixes ont été arrachées, et la plupart des portes enfoncées. Au rez-de-chaussée, assise sur une chaise, Déborah tient son bébé dans ses bras. Elle sermonne avec fermeté deux fillettes de sept ans qui chahutent. A ses côtés, une autre femme nettoie son linge dans une bassine posée sur le sol. "On est là depuis février, je crois, explique Déborah, 42 ans. Mais on est arrivé dans ce pays en 2006." Elle a débarqué du Guyana en compagnie de ses quatre enfants et du père de sa dernière fille. Mais l'homme n'est plus là. "C'est lui qui a voulu venir, mais dès qu'on est arrivé, il s'est mis à fumer de la drogue et il est parti, raconte-t-elle. Je pense qu'il est au Suriname maintenant." Depuis, Déborah s'efforce de survivre et, assure-t-elle, a entamé des démarches pour que sa situation administrative soit régularisée.
"J'ai déjà rempli des documents pour avoir des papiers, mais pour l'instant je n'ai pas eu de réponse, affirme-t-elle. Je veux rester ici. Je n'avais pas une bonne vie au Guyana, et maintenant je suis là. Si j'avais des papiers, je pourrais travailler, nettoyer les rues, faire n'importe quoi." Pour l'heure, elle passe ses journées à s'occuper de ses enfants et à "chercher un peu d'argent". Pour la nourriture, elle s'adresse le plus souvent "à l'église catholique". Le soir, ses enfants et elle s'installent à l'étage. Elles dorment sur de vieux matelas, à côté desquels gisent une poignée de bougies et un briquet. Les travées extérieures n'ont plus de rambardes, ce qui expose les occupant à une chute éventuelle. Déborah ne semble pas s'en inquiéter.
Le seul garçon, Robin, est âgé de 17 ans. Comme ses petites sœurs, il ne va pas à l'école. "Je vais pêcher de temps en temps", explique-t-il vivement en anglais. Debout sous la toiture en partie ravagée par un incendie, Déborah explique que personne ne leur rend visite pendant la nuit et que "les policiers ne sont pas venus" les voir depuis leur arrivée. Mais elle ne dit pas comment et pourquoi elle a atterri dans la maison. Car, peu de temps avant qu'elle ne s'y installe, d'autres personnes y vivaient.
En réalité, et malgré un arrêté de péril imminent lancé cette année par la mairie, la vieille bâtisse est constamment occupée. Comme la plupart des maisons vides et laissées à l'abandon dans la commune. Le problème, pour la ville, est que l'ancienne résidence du receveur des douanes est une propriété de l'Etat. Impossible, par conséquent, d'élaborer le moindre projet la concernant. Pour le moment, tout du moins. Car la municipalité a déjà lancé une vaste opération de rénovation dans le quartier mitoyen du camp de la transportation. Mais uniquement parce qu'elle est parvenue à convaincre les propriétaires de l'intérêt commun d'une telle opération.

NB : Deux jours après la parution de cet article, le préfet a ordonné l'expulsion de la famille qui occupait la résidence. Celle-ci ayant été murée pour éviter toute nouvelle intrusion. En revanche, la maman et ses enfants n'ont pas été expulsés. Juste invités à se trouver un autre point de chute. La France ne dispose d'aucun accord avec le Guyana permettant de renvoyer les clandestins dans leur pays d'origine. Quand ils le sont, c'est généralement vers le Suriname qu'on les dirige. Pays duquel ils s'empressent de fuir. Pour un retour quasi-systématique en Guyane, qui n'a rien de bien compliqué compte tenu du peu de moyens dont disposent les autorités pour réguler les flux frontaliers. Une franche pantalonnade, en vérité.

Des Vampires qui réclament eau et électricité

Les Vampires. Drôle de nom pour un quartier. C'est le petit pont de bois qui permet de franchir la crique, au beau milieu de la piste (immense arc de cercle vallonné qui conduit du lycée 2 au collège Albert Londres), qui a donné son nom à l'endroit. Ou plutôt les centaines de chauve-souris qui avaient pris leurs quartiers sous la charpente. Du pont des Vampires est donc née la piste du même nom, devenue depuis un quartier de Saint-Laurent du Maroni. Un quartier qui reste toutefois un peu particulier. Car ses habitants, qui ont envahi année après année les deux côtés de la piste (souvent après avoir fui la guerre civile au Suriname, au milieu des années 80), continuent d'y vivre sans eau ni électricité. Evidemment, les terrains sur lesquels ils ont construit leur maison appartiennent à l'Etat. Mais, avant eux, comme ils le répètent à l'envi, cette zone de la ville n'était qu'un espace boisé inoccupé. Alors quelle que soit l'appellation - squat, quartier - il n'en demeure pas moins que de nombreuses familles sont désormais bien implantées. Et réclament avec insistance des structures similaires à celles des autres secteurs de la ville.
Assis sur un fauteuil élimé de sa petite maison de bois, Arjan Aloeboetoe explique qu'il vit là depuis sept ans. Ses enfants sont scolarisés, et il travaille comme chauffeur dans une société de transport. De son propre aveu, il ne sait plus quel moyen employer pour obtenir ce qu'il veut : l'eau l'électricité, un titre de propriété. "On ne fait rien pour nous, regrette-t-il. On se pose des questions, on se demande ce qu'on peut faire. On nous promet des choses mais rien ne se passe. On n'a plus confiance. Si on avait demandé quelque chose qui n'est pas à Saint-Laurent, je comprendrais. Mais les câbles sont là. Et quand on demande à devenir propriétaire, on nous le refuse." Assis en face de lui, Rinado Tergie formule les mêmes doléances. "Il y a environ 150 demandes d'électrification, et on nous a indiqué qu'un budget de 300 000 euros était débloqué, assure-t-il. Mais on attend toujours. Et pour l'eau c'est pareil. C'est comme si on nous laissait de côté. Comme si on ne faisait pas partie de Saint-Laurent." Arjan Aloeboetoe renchérit : "On entend dire qu'on ne payera pas nos factures. Mais on s'éclaire avec des groupes électrogènes qui coûtent cher. Si on nous met l'électricité, on sait que ça ne sera pas gratuit ! Et on est prêt à payer. D'accord, il y a la ZAC Saint-Maurice (Zone d'aménagement concertée, qui vise à aménager une vaste zone de la commune et qui englobe notamment les Vampires), mais nous on a besoin d'électricité aujourd'hui."
Pour l'heure, l'électricité est donc fourni par des groupes électrogène. Quant à l'eau, les habitants la récupère dans des cuves après la pluie, ou s'en procure à la crique surmontée du fameux pont des Vampires. Une situation des plus précaires. Particulièrement en saison sèche, quand le point d'eau diminue à vue d'œil. Si les résidents avouent leur sentiment d'abandon, leur situation est néanmoins connue des autorités.
Marie-Anne Montéléone est attachée territoriale à la Communauté des communes de l'Ouest guyanais (CCOG), chargée de la fiscalité, de la gestion du foncier des communes et du patrimoine de la CCOG. Elle parcourt tous les quartiers de l'Ouest depuis plus de dix ans, transmet ses rapports aux autorités, aide souvent des habitants à monter des dossiers. "C'est le cas actuellement dans les quartiers de Vietnam et Djakata à Saint-Laurent", souligne-t-elle. Par conséquent, Vampires, elle connaît parfaitement.
"Il n'y a rien, lance-t-elle. Personne ne s'occupe du gros squat. Il ne s'étendra pas, puisque la zone est limitée par la crique. Mais physiquement ils arrivent à saturation. En attendant il y encore des construction en cours." Quant à la situation administrative des familles, elle ne facilite pas les choses. "Même pas la moitié de la population est en situation régulière, explique-t-elle. Mais les enfants sont scolarisés, et beaucoup sont nés sur le territoire français." Lorsqu'il est précisé que pour que l'Etat accorde une cession de terrain, le demandeur doit être soit français soit détenteur d'une carte de résident de dix ans, il devient plus simple de comprendre les difficultés de certains habitants à obtenir un titre de propriété. Néanmoins, il en existe. "Une dizaine de personnes, affirme Marie-Anne Montéléone. Et le long de la route goudronnée à Sables Blancs (juste avant la piste des Vampires) d'autres doivent bénéficier d'une cession cette année. Mais ils sont là depuis longtemps."
Si la situation de Vampires comporte des particularités, il ne s'agit pas du seul secteur de Saint-Laurent dans lequel la population vit de façon précaire. Djakata, Vietnam, Paul Isnard, Bois Canon, tous abritent leur spécifités. Et leurs contradictions. Comme le fait d'imposer certains occupants qui, de fait, n'ont pas le droit d'être installés sur le terrain qu'ils occupent.