lundi 1 octobre 2007

Le parquet (Paris)


On ne m’avait pas prévenu, pas fait passer le mot. Je m’en mordais les doigts, il fallait bien pourtant que je m’adapte.
L’appartement, aussi grand que mes moyens me le permettaient, m’avait paru très engageant, je m’étais engagé. Quatre pièces si l’on comptait une entrée aussi dérisoire qu’inutile, une cuisine aussi bien aménagée que futile – là il ne s’agissait que de mon peu de goût pour les délices de la table – et une salle de douches-toilettes intégrées. Un plancher splendide et peu d’attrait pour la recherche immobilière avaient achevé de me convaincre. Le compte était bon, il y avait bien quatre pièces, seuls les mauvais coucheurs me faisaient sentir parfois qu’il ne s’agissait que d’un studio. Ca perdait en standing, j’en souffrais. Mais le parquet était splendide, peut-être le plus splendide de Paris, solide comme un roc, aucune inquiétude de passer à travers. Seules les petites interstices entre les lattes tempéraient mon enthousiasme, j’imaginais déjà devoir gratter les miettes et poussières de toutes sortes qui ne manqueraient pas d’y trouver refuge.
En entrant dans les lieux, j’avais compris pourquoi Haussmann eut un jour le bon goût de raser les quartiers populaires. Certes, il n’avait pas dû beaucoup s’éloigner des rives de la Seine pour s’enfoncer dans les bouges périphériques. Et y tirer au cordeau d’impeccables rues gentiment ombragées. Il avait en revanche, ce bon baron, inscrit pour longtemps dans l’inconscient collectif le goût pour la pierre de taille, les larges fenêtres et le subtil mélange du blanc éclatant assombri par la teinture des bois, goût qu’il avait sans conteste transmis à l’architecte de l’immeuble qui devait m’abriter.
Le plancher grinçait subtilement, accompagnait chacun de mes pas. J’y trouvais une nouvelle esthétique, entouré d’un halo de fumée transpercé par la lumière tombante, parcourant les trois pas que m’offrait l’écartement des murs. J’y découvrais, m’accoudant un instant respirer la fraîcheur du soir, le charme satisfait d’une existence bourgeoise. Lorsque…
Ça tapait quand même un peu fort au-dessus de ma tête. Du plafond me parvenaient des bruits sourds et saccadés. Pas ceux qu’aurait produits le pas d’un adulte bedonnant, non. Il y avait quelque chose d’aérien au contraire dans ces pics en rafales. La pointe acérée d’une danseuse à l’entraînement, peut-être, le quartier en était infesté. Les loyers, pour peu qu’on était dans les murs depuis plusieurs années, permettaient encore à quelques intermittants de se loger intra-muros. J’imaginais déjà le galbe soyeux des jambes de ma voisine, dont je ne manquerai pas sous-peu d’admirer l’esthétique. Le rythme anarchique de l’échauffement m’intriguait pourtant, peut-être du contemporain. Dernières vaguelettes de rêve contre la réalité, il s’agissait, je n’en doutais plus, d’un enfant…
Le problème des quartiers populaires c’est au fonds que des miséreux y vivent aussi. Et que le parquet s’adapte bien mal à la misère, pour les voisins du dessous du moins. Dans l’exacte surface que j’habitais logeait un couple d’Indiens, je devais le découvrir bientôt. Et les canons de confort des Indiens parvenus, on ne sait par quel chemin, dans notre accueillante capitale, ne sont pas loin s’en faut conformes à ceux de nos contrées développées. Cela ajouté à un violent désir d’enfanter dès que l’on se conjugue rendait la situation délicate pour qui s’installait dans la périphérie. Fidèle à mes principes on ne peut plus humanistes, je décidais me m’adapter, me voyant mal grimper l’étage qui nous séparait, frapper à la porte d’un poing ulcéré : "Je travaille, moi, entravez cet enfant !"
Ou plus conciliant : "Que diriez-vous d’investir dans un de ces grands tapis de prière qu’on vend, à des prix dérisoires pour qui gagne sa vie, paie ses impôts et dispose de papiers parfaitement en règle ?"
Cette seconde solution recueillit finalement mes faveurs. J’évitai néanmoins la confrontation, appelai la Préfecture pour dénoncer l’existence d’un atelier clandestin, prévins les pompiers qu’un feu se déclarait, et la maréchaussée.

Bien sûr, je manifestais quelques jours plus tard, à l’appel de mes camarades, contre l’insupportable politique de notre gouvernement. Bien sûr je dénonçais le fichage et le flicage, bien sûr ! Mais le goût de mes clopes et des splendides parquets s’en trouva renforcé…

Depuis peu loge, au-dessus de chez moi, une belle danseuse dont j’admire, parfois, le galbe soyeux des jambes…

La Goutte

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu attaques par un degrés lointain, nettement plus que le second quoi qu'il en soit. Tu cultives le risque. Tu vas voir que certains vont croire qu'on héberge un chevènementiste...

CHK

Anonyme a dit…

Bonjour,

Pierre, tu ne m'avais pas dit que tu publierais ton parquet sur le blog de thomas, que je salue par la même occasion. Très bonne idée, Thomas, cette tribune libre sur ton blog, comment ça marche pour ceux dont le verbe titille, on te balance l'article par mail ?

En tout cas, je découvre aujourd'hui ton nouveau blog, la lecture de ta prose me manquait...
Promis, je serai là dès que tu rentres en France.

Beques
Fab C.

Chronik a dit…

C'est pas vraiment une tribune libre mon Fab, mais un espace d'expression pour quelques amis voyageurs qui vont nous distiller leurs impressions, leurs agacements, leurs étonnements, découvertes et autres commentaires sociaux à travers de petits textes, si possible agrémentés d'une PHOTO !!! Pour Paris et notre chère vieille et de plus en plus décrépie mère patrie, Pierre et un autre pote ont accepté l'invitation. Mais si une idée te vient, n'hésite pas à m'en faire part sur mon mail.
Ciao mon grand, et à bientôt dans le froid !

PrincessK a dit…

Ce texte me rappelle quelque chose...
Un voyage à travers les chevrons de la goutte d'or me semble-t-il...
Well done : le voyage commence là où on se trouve, non ?!