jeudi 29 novembre 2007

Raquettes et quiproquos congolais (Kinshasa)


Tout comme le langage n’est pas universel, le français n’est pas le même, d’un pays à l’autre. En RDC, la langue de Molière devient une ode à la poésie. Démonstration : là ou nous évoquons une prostituée, les congolais parleront de « londonienne », plus léger. Les sodas deviennent des « sucrés », les gens haut placés des « honorables » et la maîtresse d’un homme sera élégamment évoquée comme son « deuxième bureau ». Quant aux nombres 70 et 90, ne vous trompez pas et dites « septante » et « nonante » au risque que votre interlocuteur ne comprenne 60-10 ou 80-10 (les belges et leurs résidus de langage m’ont plus d’une fois embarrassée lorsque j’ai du donner mon numéro de téléphone évidemment truffé de ces nombres). Enfin, point de belles formules de politesse, un rapide "ça va" remplacera notre traditionnel "merci".

Ajoutez à cela un accent (qui peut varier d’une personne à une autre, selon sa région d’origine), et vous vous retrouvez parfois un tout petit peu à coté de la plaque. Pour preuve, mon dernier grand moment de solitude, lorsqu’au milieu d’une réunion de travail concernant l’ouverture prochaine du nouveau Centre de Documentation Parlementaire, entourée des deux (honorables) secrétaires généraux de l’Assemblée Nationale et du Sénat congolais, j’ai posé une question quelque peu ridicule. La secrétaire générale du Sénat ayant évoqué très sérieusement et à plusieurs reprises le besoin urgent de présenter une raquette auprès de l’Ambassade de France, je demandai spontanément et sans trop réfléchir : « mais qu’entendez-vous exactement par « raquette » ? Et la dame de me répondre, un peu interloquée, « et bien, ma chère amie, enfin, une raquette…une demande officielle, en somme » Mmmh, très bien, nous parlions donc d’une requête. J’aurais mieux faire de me taire sur ce coup-là..

Grand désarroi également le jour où il m’a fallu traduire le mot « crotte » à un de mes collègues congolais. Pour vous situer l’affaire, il m’est important de préciser que mon bureau se trouve dans le centre de documentation mentionné plus haut et plus précisément au rez-de-chaussée du Parlement. Allez savoir pourquoi, parmi cinq bureaux, il fut pendant un mois le seul à être pris d’assaut par une ribambelle de souris qui venaient y festoyer chaque soir. Au matin, je comptabilisai donc les preuves incontestables de leur présence : leurs crottes. Lorsque je m’en plaignis à l’un de mes collègues, ce dernier me fit répéter avant de s’exclamer : « ha, vous voulez parler des fèces de rat ! ». Il nous aura fallu quelques minutes (et quelques blagues d’un goût douteux) pour démêler les nœuds de ce malentendu et pour que je découvre que ce mot, ici, n’existait pas.

Enfin, et pour clore ce petit cours de linguistique, la religion, très présente dans le cœur des congolais, l’est aussi dans leur langage courant. Ainsi, ai-je l’immense plaisir d’apprendre à chaque fin de conversation avec l’un d’eux, que « Dieu, dans Sa Grande Sollicitude, me garde ». Ouf. Je respire.

11 commentaires:

Chronik a dit…

Une "Londonienne" ! Voilà qui s'avère être des plus instructifs. Mais pourquoi cette assimilation des filles de joie aux galantes britanniques ?

Matharabat a dit…

Pour ta culture mon cher Thomas,en lingala, "londe" signifie "ronde", dans le sens de "une fille fait la ronde".Rien à voir avec les filles de Londres, donc. Dixit le Petit Futé.

Chronik a dit…

Suis-je sot ! A ma décharge, j'avoue ne consulter qu'en de rares occasions mon lexique lingala. Honte à moi... Promis, je m'y replonge, tout en savourant un "sucré" bien frais.

Chronik a dit…

Ah, et que Dieu, dans sa grande sollicitude, te garde ! Toujours agréable de te lire.

Matharabat a dit…

Et tes petits commentaires sont toujours un plaisir...

Bourbon a dit…

C'est en effet un peu un travers hexagonal de penser que notre la,gue n'appartient qu'à nous et n'est correctement parlée que par nous. Outre-mer, au Canada, en Belgique, en Suisse, mais aussi en Roumanie ou à Chypre, notre langue est souvent plus belle car plus proche de la manière dont elle était parlée par le passé.
Là où nous utlisons des anglicismes ou des mots simplifiés (70 et 90 en sont des exemples), les Belges s'accrochent aux mots français. Et en ce qui concerne les pays des anciennes colonies, j'ai pu le constater au Burkina Faso, le Français a gardé ses termes d'autrefois, comme "fèces" qui vient de "fécal"...
Très intéressante ta chronique...

La Goutte a dit…

Matakin et Chronik, on va je pense vous laisser un peu d'intimité et ne plus lire votre émouvante correspondance...

Chronik a dit…

C'est vrai que c'est émouvant. Ah, ces doux souvenirs, lorsque je dégustais des quiches maison dans une mansarde rennaise...
La Guyane abrite de nombreux ressortissants africains, venus du Sénégal, de Côte d'Ivoire, du Cameroun, etc. Une conversation, même la plus courte, permet de saisir leur attachement et leur maîtrise de la langue française, du moins pour ceux que je côtoie. Etonnant que les Français soient les seuls à ne pas être en mesure de réinventer leur langue pour mieux la préserver.

MAP a dit…

pour ma part, j'ai eu le plaisir d'apprendre en achetant hier des médicaments dans une quelconque pharmacie australienne que Dieu m'aimait... en effet au bas de ma facture étaient imprimés ces simples mots rassurants : God loves you....

Anonyme a dit…

I'm impressed, I must say. Rarely do I come across a blog that's both equally educаtive and interesting,
and let me tеll уou, you've hit the nail on the head. The issue is an issue that not enough people are speaking intelligently about. Now i'm verу happy I cаme across
this during my hunt for something regardіng this.

Feel frеe to visit mу page ... https://iras.geo.tu-freiberg.de/mathe/mtex/index.php?title=Lightweight_Foods_Are_Created_For_Hikers.

Anonyme a dit…

I quite like reading through a post that can make men and women think.
Also, thank you for allowing me to comment!

my homepage: jetpack joyride hack