mardi 28 octobre 2008

Squat avec vue... sur la sous-préfecture

La vieille et grande demeure a sans nul doute été majestueuse. Construite face au fleuve Maroni, coincée entre la place des fêtes et la résidence du sous-préfet de Saint-Laurent, elle n'est plus désormais qu'une ruine. A l'époque du bagne, c'est entre ses murs qu'était logé le receveur des douanes. Aujourd'hui, la bâtisse délabrée abrite des résidents clandestins. Trois femmes et cinq enfants, dont deux nourrissons. Tous originaires du Guyana, dépourvus de permis de séjour et vivant dans la plus criante promiscuité. Ils ont investi les lieux voilà plus de huit mois.
Pénétrer dans l'enceinte de la résidence n'a rien de compliqué. Les grilles, profondément rongées par la rouille, sont grandes ouvertes. Et quand bien même quelqu'un aurait eu l'idée saugrenue de les refermer, les pans de murs écroulés sont si nombreux que la clôture s'avère quasi inexistante. En revanche, il est plus difficile de se frayer un chemin jusqu'à la maison à travers un jardin en friche recouvert de détritus en tout genre. Les grilles fixes ont été arrachées, et la plupart des portes enfoncées. Au rez-de-chaussée, assise sur une chaise, Déborah tient son bébé dans ses bras. Elle sermonne avec fermeté deux fillettes de sept ans qui chahutent. A ses côtés, une autre femme nettoie son linge dans une bassine posée sur le sol. "On est là depuis février, je crois, explique Déborah, 42 ans. Mais on est arrivé dans ce pays en 2006." Elle a débarqué du Guyana en compagnie de ses quatre enfants et du père de sa dernière fille. Mais l'homme n'est plus là. "C'est lui qui a voulu venir, mais dès qu'on est arrivé, il s'est mis à fumer de la drogue et il est parti, raconte-t-elle. Je pense qu'il est au Suriname maintenant." Depuis, Déborah s'efforce de survivre et, assure-t-elle, a entamé des démarches pour que sa situation administrative soit régularisée.
"J'ai déjà rempli des documents pour avoir des papiers, mais pour l'instant je n'ai pas eu de réponse, affirme-t-elle. Je veux rester ici. Je n'avais pas une bonne vie au Guyana, et maintenant je suis là. Si j'avais des papiers, je pourrais travailler, nettoyer les rues, faire n'importe quoi." Pour l'heure, elle passe ses journées à s'occuper de ses enfants et à "chercher un peu d'argent". Pour la nourriture, elle s'adresse le plus souvent "à l'église catholique". Le soir, ses enfants et elle s'installent à l'étage. Elles dorment sur de vieux matelas, à côté desquels gisent une poignée de bougies et un briquet. Les travées extérieures n'ont plus de rambardes, ce qui expose les occupant à une chute éventuelle. Déborah ne semble pas s'en inquiéter.
Le seul garçon, Robin, est âgé de 17 ans. Comme ses petites sœurs, il ne va pas à l'école. "Je vais pêcher de temps en temps", explique-t-il vivement en anglais. Debout sous la toiture en partie ravagée par un incendie, Déborah explique que personne ne leur rend visite pendant la nuit et que "les policiers ne sont pas venus" les voir depuis leur arrivée. Mais elle ne dit pas comment et pourquoi elle a atterri dans la maison. Car, peu de temps avant qu'elle ne s'y installe, d'autres personnes y vivaient.
En réalité, et malgré un arrêté de péril imminent lancé cette année par la mairie, la vieille bâtisse est constamment occupée. Comme la plupart des maisons vides et laissées à l'abandon dans la commune. Le problème, pour la ville, est que l'ancienne résidence du receveur des douanes est une propriété de l'Etat. Impossible, par conséquent, d'élaborer le moindre projet la concernant. Pour le moment, tout du moins. Car la municipalité a déjà lancé une vaste opération de rénovation dans le quartier mitoyen du camp de la transportation. Mais uniquement parce qu'elle est parvenue à convaincre les propriétaires de l'intérêt commun d'une telle opération.

NB : Deux jours après la parution de cet article, le préfet a ordonné l'expulsion de la famille qui occupait la résidence. Celle-ci ayant été murée pour éviter toute nouvelle intrusion. En revanche, la maman et ses enfants n'ont pas été expulsés. Juste invités à se trouver un autre point de chute. La France ne dispose d'aucun accord avec le Guyana permettant de renvoyer les clandestins dans leur pays d'origine. Quand ils le sont, c'est généralement vers le Suriname qu'on les dirige. Pays duquel ils s'empressent de fuir. Pour un retour quasi-systématique en Guyane, qui n'a rien de bien compliqué compte tenu du peu de moyens dont disposent les autorités pour réguler les flux frontaliers. Une franche pantalonnade, en vérité.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

tu as des nouvelles des femmes et des enfants à ce jour ? c est une histoire triste mais tres bien ecrite. bises

Anonyme a dit…

Bonne histoire, mais dommage pour les fautes d'orthographe.
H. T.