mercredi 8 octobre 2008

Dépoussiérage historique


Négligemment entreposées dans un vieux bâtiment de Saint-Laurent du Maroni depuis de nombreuses années, les archives de la ville ont fait l'objet d'une méticuleuse séance de tri sous la conduite du directeur des archives départementales de Cayenne. Une opération qui a permis de découvrir quelques précieux documents.

Assis devant une longue table recouverte d'imposantes piles de documents, Philippe Guyot laisse échapper un soupir. Pour le deuxième jour consécutif, il décortique minutieusement les pochettes, serviettes et autres cartons dans lesquels repose une partie de l'histoire de la commune de Saint-Laurent. Et, pour tout dire, le directeur des archives départementales de Cayenne se demande s'il va pouvoir s'accorder une courte pause afin de se restaurer. Car le travail est colossal. Non pas en raison de la masse de pièces à examiner et à trier, mais parce que personne à Saint-Laurent n'a jamais pris le temps de se plier aux exigences de l’archivage. "L'état de poussière et les strates de crasse prouvent l'ancienneté de la chose", s'amuse-t-il. En réalité, jusqu'à très récemment, personne ne connaissait avec certitude le lieu où étaient entreposés tous ces écrits.
C'est dans un petit bâtiment de l'avenue Gaston Monnerville, à deux pas de l'école des Malgaches, que s'entassent depuis des dizaines d'années les archives de la ville. Encore fallait-il pouvoir y entrer. "On n'arrivait pas à mettre la main sur les clefs", sourit Marie Bourdeau, animatrice de l'architecture et du patrimoine au sein de la mairie. Celles-ci retrouvées, les archivistes ont vite pu mesurer l'importance des découvertes effectuées lors de cette courte séance de dépoussiérage.
Subventionnée par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), la mission consiste à éplucher avec soin tous les dossiers antérieurs à 1949. "Saint-Laurent a été fondée en 1858, mais les documents les plus anciens que nous avons trouvés datent de 1870, et concernent la production de rhum à l'usine Saint-Maurice", précise Philippe Guyot. La rhumerie qui occupe un large espace dans les montagnes de papier. "On a quasiment toute l'activité, s'enthousiasme le directeur. Les statistiques de la rhumerie, qui au début ne produit que du sucre avant d'être transformée en usine mixte, des rapports sur la production, la vente, c'est énorme. Les travaux, les aménagements, les machines, il y en a trois ou quatre fois plus que ce qu'on aurait espéré. L'administration du bagne étant pléthorique à l'époque, les fonctionnaires passaient leur temps à faire des tonnes de rapports." Evidemment, Philippe Guyot ne travaille pas seul. A ses côtés, Jean-Pierre Bacot et Léopold Champesting, respectivement responsables de l'atelier restauration/reliure et du secteur magasinier aux archives départementales. Mais aussi Muriel Cohen et Emmanuel Szurek, deux professeurs agrégés en thèse d'histoire, qui ont interrompu leurs vacances en Guyane pour se plonger dans le passé de la commune. "Ces documents, c'est le rêve de l'historien", assure Emmanuel, encore stupéfait des trouvailles qu'il a pu faire. Et notamment sur l'époque du gouvernement de Vichy. "C'est la période la mieux représentée, la plus complète, explique Philippe Guyot. Parce que c'est la plus récente de la fin de l'administration pénitentiaire à la tête de la mairie (le maire n'était autre que le directeur adjoint du bagne). Politique, économique, voirie, équipements, tout est là. C'est tant mieux, parce que c'est une période les plus cruciales de l'histoire du bagne. La période où il y a le plus de morts (voir ci-contre)." Les taxes en vigueur, la fiscalité locale et l'usine électrique font également l'objet de nombreux documents. En revanche, très peu de choses sur le monde associatif. Et aucun plan ni la moindre photographie. "On suppose que c'est resté dans les familles", glisse Marie Bourdeau.
Pour l'heure, les archives vont être conservées dans le même local. Dès que la municipalité disposera de son Centre d'interprétation de l'architecture et du patrimoine (Ciap, pas avant 2010), dans le camp de la Transportation, l'ensemble des documents y seront entreposés, exposés, et consultables par le public.

4 commentaires:

Chronik a dit…

Le bagne sous Vichy
Deux tiers des bagnards sont morts sous le gouvernement de Vichy. Dans les archives, des documents statistiques dressent mois après mois l'évolution du taux de mortalité. Ainsi que le compte-rendu d'une grande inspection de l'administration pénitentiaire datée de 1945 et 1946. "La population du bagne a été divisée par trois, explique Philippe Guyot, directeur des archives départementales. Ils ont été affamés, comme les patients des hôpitaux psychiatriques en métropole. Avec pour résultat un taux de mortalité comparable à celui des camps de concentration." Les Français étant soumis aux tickets de rationnement, Vichy n'a pas jugé utile de dépenser de l'argent pour les prisonniers et les aliénés. Pour réduire les coûts, la méthode a été de diminuer progressivement les rations. Tout en obligeant les bagnards à travailler. L'arrivée des médecins gaullistes à la tête du bagne a mis un terme à cette pratique.

La Goutte a dit…

Chronik,
D'abord merci de faire revivre ce blog. Et puis sache que je suis touché au coeur par cet article...

Chronik a dit…

Je crains toutefois que notre belle idée de départ ne se solde par un arrêt pur et simple. Trop de peu de participation malheureusement...

Anonyme a dit…

Cette histoire de la période vychiste est méconnue. Elle mériterait un plus grand dossier.
Félicitations