lundi 4 février 2008

Pourtant quelqu'un m'a dit... (Paris)



L’Elysée, samedi 2 février 2008, dans la matinée

Tout cela aura finalement duré assez peu de temps, quelques mois, avant que le programme ne perde en audience. Mais si le couperet s’abat sur les émissions de télé qui n’arrivent pas à trouver leur public, la sanction ne peut être la même en système dit démocratique, c’est ma chance. Le mauvais sitcom dans lequel je me suis engagé bénéficie heureusement de la protection du suffrage. Ce que les citoyens ont fait, eux seuls peuvent le défaire. Sauf lorsqu’il s’agit de me déplaire. Parce que sur un autre thème, le traité européen, je les avais bien prévenus qu’il n’était plus question de les consulter. Et un tour pendable de plus aux socialistes qu’oseront jamais afficher leurs divisions à quelques semaines d’un scrutin local décisif. Là-dessus je suis tranquille, ce ne sont pas les trois énervés de la gauche de la gauche, les éternels râleurs ramenés aujourd’hui à la portion congrue, qui vont me mettre des bâtons dans les roues. Et puis ils ont eu Guy Môquet pour se faire entendre, c’est déjà pas mal, ça les a excités.

Le reste est quand même moins simple à y regarder de plus près. C’était le risque des dernières présidentielles. J’avais réussi à incarner l’homme providentiel. Fallait les entendre au café du commerce en mettre plein la gueule à la pourtant bien gironde Ségolène. J’ai remporté la finale, haut la main, mais je ne me sens pourtant pas encore sorti du loft. On m’épie de tous les cotés, on me filme sous tous les angles, je suis partout, mais les chiffres d’audience sont à la baisse. Je commence à penser que je me suis trompé.

J’étais certain qu’il avait disparu, mais voilà qu’il semble vouloir exister de nouveau, et dieu sait qu’il me fait peur. Je croyais que l’histoire avait pourtant condamné la notion, qu’il s’était transformé en une adjonction volatile de consommateurs hypnotisés. Or quelque chose semble se réveiller, une bête immonde, râleuse, contestatrice, qui traîne des pieds et refuse de me suivre sur mon pont d’Arcole à moi. Le peuple.

J’avais pourtant repris à mon compte les grosses ficelles inventées par Celui à qui je dois tout, mes analyses et ma stratégie. Entrepreneur de télé, de radio, homme de presse à ses heures, concepteur de méthodes éprouvées et approuvées par un audimat au constant beau fixe. Il m’avait offert semaine après semaine ce qui devait nourrir ma vision politique prophétique, celle qui devait emporter l’adhésion.

Il Lui suffisait simplement de séparer le bon grain de l’ivraie, les méchants, âpres au gain et sans scrupules, de leurs victimes, certes un peu naïves mais tellement touchantes, les cheveux gras et l’âme en dépression. Il était là le peuple, visible le vendredi soir, à nous raconter ses misères. Et Lui de s’emporter, de dénoncer, de harceler, de protéger en substance une poignée de minables essorée par la vie. Et les autres derrière l’écran de penser qu’il y aurait toujours, au bout du bout, une bonne âme pour panser leur plaie. La méthode avait le mérite de vouloir préserver le système des quelques individus malfaisants essayant de le dévoyer à leur profit. Pas question de pourchasser les héros de l’industrie délocalisante et de la finance spéculative, mais plutôt de poursuivre avec une caméra, et jusque dans leurs chiottes, les petits aigrefins tout aussi laids, médiocres et pathétiques que ceux qu’ils tourmentaient. Et de les dénoncer publiquement, la bave aux lèvres, à la vindicte populaire. Séance thérapeutique et collective de la désignation du mouton fiévreux qu’il fallait égorger pour préserver le reste du troupeau de la contagion. Et les panurges d’opiner du chef, tant que ça ne tombait pas sur eux, aux décisions du berger.

J’en avais usé et abusé. Aux gémonies le sans-papiers, le cheminot, le fonctionnaire, la racaille, le planqué, le chômeur, le malade, le barbare quoi, celui qui se refuse à marcher à la trique et, le moment venu, n’hésite pas à se comporter comme le plus odieux des Farc. Prise d’otage toute grève, tout blocage, tout grain de sable dans la machine. Et des millions de victimes suintantes dans leur RER surchargé, haineuses pour certaines, revendiquant leurs chaînes pour d’autres, ou tout bonnement muettement solidaires. Mais alors invisibles, les copains s’en chargeaient.

Ça avait fonctionné, sondages au zénith. La mayonnaise avait pris, et quand ça dévissait une bonne louche de show sentimental, occuper le terrain quoi qu’il en soit. À la baille la politique, on leur en foutrait du spectacle, des Grenelles en veux-tu en voilà, que tout semble changer pour que rien ne change, ou plutôt si, que ça soit de plus en plus confortable les miens, et que les autres morflent, cons qu’ils sont de s’être laissé berner par le gavage médiatique, seuls devant leur télé, émus d’être pris en compte enfin car eux-mêmes victimes. Des sans-papiers, des cheminots, des fonctionnaires, des planqués, des chômeurs, des malades, des barbares quoi qui sapaient les fondations d’une société dont eux, si tôt levés et suintants dans leurs RER surchargés étaient les bâtisseurs.

J’ai peur aujourd’hui, je pensais pourtant que j’avais fait le plus dur. Je les terrorisais, ils marchaient au pas, ils me devaient tant. Et quand ça renâclait, il me suffisait de gueuler, d’humilier, et ça rentrait dans l’ordre. Ils en avaient usé et abusé, autour de moi leur chef, autoritaire, injuste mais prophétique et génial, de la brosse à reluire, du coup de langue circulaire. Mais ils commencent à me regarder bizarrement, à parler dans mon dos, à dire que j’en fais trop, à prendre de la distance. Je sais qu’ils n’hésiteront pas à sortir les couteaux si je mets un genou à terre, si je ralentis. Même pas un an…

En fait ça a toujours été mon problème, et je n’ai pas su le régler. Ça part trop vite, c’est intense, mais j’arrive pas à canaliser, à faire durer, et au final je déçois. Comme je les ai haïes quand elles riaient. Certaines souriaient juste, voulaient me rassurer, mais ça me prenait, j’avais envie de mettre mes mains autour de leur cou et de serrer fort. C’est arrivé une fois, je l’aimais pourtant. Elle est partie, j’ai pas pu la retenir.

J’espère que cette fois…

- « Monsieur, voulez-vous prendre pour épouse… »

3 commentaires:

Chronik a dit…

Quel talent...

Bourbon a dit…

Ca commence par une chanson de Carla Bruni et ça se termine par l'incontournable titre des Rita : "Les histoires d'amour..."
Chronique d'une rupture annoncée : avec le 'mannequin refait de partout' et avec les électeurs.

Chronik a dit…

"L'obsénité démocratique" de Debray...